dimanche 14 août 2016

L'Articulation entre Physique et Métaphysique chez Pierre Duhem - Quatrième partie (chapitre 7 et 8, Conclusion)

 

II. 3. La Cosmologie ou la métaphysique de la science
Arrivé à ce stade de notre mémoire, nous pensons avoir présenté suffisamment de preuves qui indiquent l’existence d’une doctrine métaphysique chez Duhem. On pourrait, en un certain sens, prétendre que l’idée de classification naturelle chez Duhem est révélatrice d’une métaphysique de la science. Il faudrait alors préciser qu’il s’agit d’une métaphysique portant sur la nature de la théorie physique, et non sur la nature des objets que ladite théorie étudie. Duhem ne s’est pas essayé à pénétrer les notions de matière, de force, de temps, etc. En revanche, il a tenté d’approfondir jusqu’au bout la notion même de théorie physique, par là, il a fait œuvre de métaphysicien.
Ce qu’on entend plus généralement par métaphysique des sciences, n’est autre que la philosophie de la nature : c’est-à-dire l’étude métaphysique des phénomènes et lois physiques, dans le but de sonder la réalité que nous cache la nature et d’interpréter diverses questions que laissent de côté les purs physiciens. Or, Duhem croit pouvoir avancer qu’il existe « un lien entre la théorie physique et la philosophie de la nature1 », et par là, soutient la possibilité d’une métaphysique de la science qu’il nomme cosmologie. Si l’on ne peut pas dire que Duhem soit devenu un véritable cosmologiste, l’importance de sa contribution réside en la définition qu’il donne de la discipline, et la légitimité qu’il lui accorde. Nous allons voir que la doctrine de la classification naturelle conditionne et se prolonge en une idée précise de ce que doit être la cosmologie.

Tout d’abord, Duhem rappelle le contexte. Si la métaphysique ne peut se servir des théories physiques, la faute en revient au formalisme de celles-ci, qui est symbolique et abstrait, lequel n’a pas de portée objective. Cependant, il n’en est pas de même des faits d’expériences et des lois expérimentales : « Elles [ces propositions expérimentales] peuvent donc être en accord ou en désaccord avec les propositions qui composent un système cosmologique2. » Mais, lorsqu’il s’agit d’expériences de physique et de lois scientifiques, lesquelles n’ont pas pour source exclusive le sens commun3, l’accord n’est pas évident à constater :
En effet la proposition qui formule ce fait ou cette loi est, en général un mélange intime de constatation expérimentale, douée d’une portée objective, et d’interprétation théorique, simple symbole dénué de tout sens objectif. Il faudra que le métaphysicien dissocie ce mélange, afin d’obtenir, aussi pur que possible, le premier des deux éléments qui le composent ; en celui-là, en effet, et en celui-là seul, son système peut trouver une confirmation ou se heurter à une contradiction4.
Ainsi, le métaphysicien doit tenir compte du phénoménalisme et ne pas méconnaître la portée des théories physiques, sans quoi il risque de se tromper dans son analyse, en prenant pour vrai ce qui ne l’est en aucune manière. La cosmologie, à l’instar de la physique, requiert avant toute chose de ne point confondre les méthodes physique et métaphysique : sa légitimité n’est garantie que par cette juste distinction. Puisqu’en physique, théorie et expérience sont intimement mêlées, le métaphysicien devra avoir une bonne maîtrise des diverses théories de la physique afin d’en reconnaître les caractères ; il faudra, de surcroît, qu’il possède l’esprit de finesse, écrit Duhem, car « lui seul peut deviner que ceci est construction artificielle, créée de toutes pièces par la théorie et sans usage pour le métaphysicien, tandis que cela, riche de vérité objective, est propre à renseigner le cosmologiste5 ». Cet esprit de finesse, bien sûr, est dépendant de la pratique de la physique, sans laquelle il ne pourrait être acquis ; et cela demande un sérieux investissement.
En un sens, le phénoménalisme influence de manière indirecte ou négative la cosmologie : il l’empêche de se méprendre au sujet de la théorie physique. En effet, la cosmologie, tout comme la physique, se fonde sur les phénomènes et lois physiques ; toutefois, le physicien s’empare immédiatement de ce socle et n’hésite pas à aménager son territoire, le cosmologiste, quant lui, doit pouvoir retrouver un terrain vierge des constructions symboliques et arbitraires du physicien, ce pourquoi il lui est indispensable de bien connaître ‒ peut-être plus encore que le physicien6 ‒ la méthode qui sert à développer la physique : « Le métaphysicien doit faire une étude approfondie de la théorie physique s’il veut être certain qu’elle n’exercera aucune influence illogique sur ses spéculations7. » De cette connaissance, le cosmologiste pourra faire abstraction de ce qui provient de la théorie physique et risque de le tromper ; enfin, et uniquement ainsi, il pourra entreprendre de construire la cosmologie par sa propre méthode.
En plus de prévenir les errements du cosmologiste, le phénoménalisme contribue aussi, plus positivement, à fournir des règles constitutives et à donner une direction particulière à la cosmologie. Si le métaphysicien, avant de se faire pur cosmologiste, s’intéresse à la théorie physique en elle-même, alors il sera conduit à dépasser le phénoménalisme duhémien et à lui ajouter une vision complémentaire ‒ ce dans le but de légitimer la méthode physique en usage. Comme l’écrit Duhem : « Aucune méthode scientifique ne porte en soi-même sa pleine et entière justification ; elle ne saurait, par ses seuls principes, rendre compte de tous ces principes [ceux de la physique8]. » C’est donc à la métaphysique qu’il faut avoir recours pour justifier pleinement la physique et le phénoménalisme duhémien : une telle démarche, selon notre auteur, doit nous contraindre alors à la doctrine de la classification naturelle.
Nous ne reviendrons pas sur les démarches qui font parvenir le physicien à la doctrine de la classification naturelle, car c’était l’objet de la première partie de ce mémoire. Pour résumer, Duhem écrit : « Ainsi, le physicien affirme que l’ordre dans lequel il range les symboles mathématiques pour constituer la théorie physique est un reflet, de plus en plus net, d’un ordre ontologique suivant lequel se classent les choses inanimées9. » Par cette affirmation, Duhem atteste visiblement que le physicien « a excédé les limites du domaine où sa méthode peut légitimement s’exercer10 », ce qui veut dire qu’il s’est engagé dans une voie nouvelle requérant une compétence distincte. Désormais, une autre facette de la science affleure en son esprit : « Préciser la nature de cet ordre, c’est définir la Cosmologie ; le dérouler à nos yeux, c’est exposer un système cosmologique ; essentiellement, dans les deux cas, c’est faire œuvre non plus de physicien, mais de métaphysicien11. » De ce fait, la classification naturelle apparaît comme le premier pas, indispensable, en vue de la cosmologie. Chez Duhem, la métaphysique des méthodes propres à la science précède la métaphysique des objets de la science.
Selon le phénoménalisme strict, il semblait que le cosmologiste ne devait tenir compte de la théorie physique que dans un unique but : correctement discerner, d’une part, ce qui appartient à l’expérience, à l’observation, au sens commun, ce qui est objectif et intéresse positivement la cosmologie ; de l’autre, ce qui provient proprement de la théorie, qui est symbolique, arbitraire, et dénuée de sens véritable, ce que doit délaisser le cosmologiste sous peine de corrompre son système. Néanmoins, Duhem ajoute :
Cette conclusion serait certainement exacte si la théorie physique n’était qu’un système de symboles arbitrairement créés afin de ranger nos connaissances suivant un ordre tout artificiel ; si la classification qu’elle établit entre les lois expérimentales n’avait rien à de commun avec les affinités qui unissent entre elles les réalités du monde inanimé12.
Puisque le métaphysicien devance le physicien, que la doctrine de la classification naturelle s’élève au-dessus du pur phénoménalisme, tout en restant, précisons-le, dans sa continuité : le cosmologiste ne peut plus voir la théorie physique qui ordonne les lois expérimentales comme un simple système arbitraire. Dans l’ordre et l’agencement que propose la théorie physique, il y a quelque chose d’objectif, mais qui, comme toujours, ne se dévoile pas aisément.
La théorie physique, selon qu’elle est perçue comme classification naturelle, influence directement la conception du cosmologiste, de la cosmologie. Bien sûr, il faut prendre garde que toute théorie n’atteint pas un tel degré de classification ; en outre, le terme de naturel que Duhem emploie, n’est, la plupart du temps, qu’assez relatif vis-à-vis de l’artificiel, et ne signifie pas l’absence totale d’artificiel de la classification. Duhem conçoit une limite idéale à ce développement de la classification naturelle, dans cet extrême inaccessible, la classification serait entièrement naturelle :
Entre cette classification naturelle, que serait la théorie physique parvenue à son plus haut degré de perfection, et l’ordre dans lequel une Cosmologie achevée rangerait les réalités du monde de la matière, il y aurait une très exacte correspondance ; partant, plus la théorie physique, d’une part, et le système de la Cosmologie, d’autre part, s’approchent respectivement de leur forme parfaite, plus claire et plus détaillée doit être l’analogie de ces deux doctrines13.
Si, comme l’écrit notre auteur, la classification naturelle tend à devenir une cosmologie, alors, il n’est pas interdit au cosmologiste de repérer dans le développement des théories physiques les éléments dont la tendance est à la préservation, à l’immuabilité, des éléments qui possèdent un sens proprement réel et métaphysique. Toutefois, une réserve immédiate doit se manifester en même temps que la notion d’analogie est introduite. En effet, le cosmologiste n’ayant à sa disposition nulle théorie idéale, il n’est pas en ses moyens d’assurer démonstrativement le passage de la théorie physique à son système cosmologique : il ne peut se servir que d’une analogie plus ou moins justifiée entre théorie physique imparfaite et métaphysique assortie.
Après avoir explicité comment Duhem concevait la cosmologie, et la possibilité de la fonder, il nous semble opportun d’intégrer ces considérations dans un certain débat autour du supposé néo-thomisme de Duhem. Dans Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, M. Stoffel entreprend une analyse à propos des doctrines philosophiques qui auraient possiblement inspiré notre savant, et il mentionne le néo-thomisme parmi quelques autres ‒ le kantisme, l’influence de Maurice Blondel, et celle de Pascal. D’après lui, un commentateur, M. S. Jaki, a défendu la thèse d’un Duhem néo-thomiste ; d’autres en revanche, MM. R. Maiocchi et R. N. D. Martin, ne s’y sont pas rendus. Devant la radicalité des positions, M. Stoffel, quant à lui, est dubitatif :
Pour notre part, nous souhaiterions ouvrir une troisième voie, qui se voudrait plus nuancée et plus respectueuse de la complexité historique. Il est cependant un point à propos duquel nous entendons nous montrer intransigeant, d’autant qu’il constitue en réalité l’enjeu véritable de ce débat. La distinction duhémienne entre physique et métaphysique est-elle nette et radicale, est-elle véritablement une distinction pour séparer, ou bien, n’est-elle pas finalement, dans la lignée d’un certain néo-thomisme, une distinction pour unir14 ?
Le problème étant posé, nous aimerions apporter notre contribution à cette tierce perspective. Avant cela, il nous faut nous attarder sur l’analyse que déploie M. Stoffel : celui-ci entend prouver, sur la base d’une correspondance de Duhem avec le Père Joseph Bulliot15, que la distinction duhémienne agit bien dans le but de séparer physique et métaphysique.
La correspondance entre Duhem et Bulliot semble s’être amorcée à cause du troisième congrès scientifique international des catholiques, qui eut lieu à Bruxelles, et dans le contexte duquel Duhem prit à partie les philosophes néo-thomistes qui ne comprenaient pour lui rien à la méthode physique. Dans une lettre du 7 mars 1895, Bulliot explique sa motivation, laquelle n’est rien d’autre que la nécessité « de rétablir aujourd’hui l’harmonie des sciences et de la métaphysique16 ». Il marque en même temps qu’il a tout à fait compris où Duhem voulait en venir par son phénoménalisme, par cette stratégie négative qui immunise physique et métaphysique l’une de l’autre :
J’accepte votre manière d’entendre leurs rapports et leur harmonie. Seulement cet accord est à peu près purement négatif et il n’épuise pas la question, puisque, vous le reconnaissez vous-même la conception actuelle de la science est ‘‘erronée et trop restreinte17’’.
Or, si un tel accord négatif ne peut suffire à combler l’esprit philosophique, Bulliot insiste en faveur d’une nouvelle démarche, qui, sans renier la précédente articulation, la dépasserait dans le cadre d’une pensée plus vaste, d’une visée plus grandiose :
Il y a donc place ‒ à côté ou au-dessus de cette entente négative, fondée sur une exacte délimitation et sur une séparation trop tranchée des frontières ‒ pour une entente positive, pour une harmonie plus complète, pour une union plus étroite et une compénétration plus intime de ces deux branches du savoir18.
De cette entente positive que réclame Bulliot, celui-ci a conscience qu’elle ne peut être établie avec une parfaite certitude, étant donné la critique épistémologique menée par Duhem. Pour autant, ce manque de certitude ne peut, selon lui, éliminer toute velléité de construire un système métaphysique vis-à-vis de la science, c’est-à-dire un système cosmologique : « En somme ; à notre avis, vous sacrifiez peut-être trop, vous, savants, l’explication, l’intelligibilité à la certitude. […] Nous refuser la légitimité de cette tentative, c’est condamner la philosophie elle-même, c’est vouloir la supprimer19. »
Le Père Bulliot a senti la réserve que manifeste Duhem à propos d’une interprétation de la science au profit de la métaphysique, mais il n’en demeure pas moins convaincu de l’insuffisance du phénoménalisme strict. À la lecture, en 1904, de La Théorie physique, Bulliot fait état de quelques remarques, toujours sur le même sujet. Il indique notamment deux phases dans le développement d’une théorie physique : la phase analytique, où celle-ci se construit d’une manière autonome, radicalement séparée de la métaphysique ; et la phase synthétique, où elle tend par sa propre évolution à une métaphysique spécifique ‒ référence immédiate à la classification naturelle20. Bulliot suggère alors à Duhem de mieux expliciter cette phase synthétique ‒ qui ne s’oppose pas à la phase analytique, mais viens l’enrichir d’un point de vue métaphysique ‒ et finalement le lien entre théorie physique et cosmologie, par l’ajout de quelques lignes à son ouvrage. Étonnement, M. Stoffel finit par dire que Duhem ne tint pas compte de ces remarques. Pour nous, bien que nous reconnaissons n’avoir pas lu la correspondance qui s’étale jusqu’en 1915, il paraît évident que l’article « Physique de croyant », qui s’adjoint à la seconde édition de La Théorie physique, répond aux réflexions de Bulliot en sa seconde partie21. De plus, si l’on considère que la première partie22 de cet article suffit amplement à riposter aux critiques d’Abel Rey, on peut justement affirmer que Duhem en a profité pour développer dans la seconde ce qu’il n’avait pu faire, et qu’il hésitait peut-être à faire jusque-là ‒ d’où ses réticences face aux demandes insistantes de Bulliot dans leur correspondance.
D’après les critères établis par les commentateurs MM. Maiocchi et Martin, M. Stoffel arrive à la même conclusion que ceux-ci, puisqu’il pense avoir prouvé à l’aide de la correspondance que Duhem n’entendait pas unir physique et métaphysique à l’instar de ses interlocuteurs néo-thomistes :
Le parcours que nous venons d’effectuer confirme la thèse de M. Maiocchi et de M. Martin : si être néo-thomiste, c’est prôner une entente positive entre physique et métaphysique, si c’est distinguer pour unir, Duhem n’a jamais été et ne sera jamais néo-thomiste23.
Selon ces mêmes critères, nous affirmons que Duhem peut être considéré comme néo-thomiste. Celui-ci ne distingue pas physique et métaphysique afin de leur empêcher toute communication. Dès l’article « Physique et métaphysique », Duhem précisait la base commune entre ces deux disciplines, et que la cosmologie ne pouvait se passait de l’étude de la physique24. En revanche, la distinction qu’il conçoit entre théorie physique et métaphysique est vraiment radicale ; cette radicalité, cependant, n’exclut pas une entente réellement positive entre ces domaines qui est rendue possible par la doctrine de la classification naturelle. Grâce à elle, la cosmologie pourra se servir du développement théorique, et n’est-ce pas ce que Bulliot demandait ? La cosmologie pensée par Duhem n’est peut-être pas tout à fait ce que ce dernier imaginait ; en effet, l’entente positive n’est valable que si les rigoureuses conditions qu’impose notre savant sont respectées, le cosmologiste ne peut pas prétendre user de la théorie physique pour son compte s’il n’est qu’un profane de la physique. De plus, ce lien, cette tentative de conciliation entreprise par le cosmologiste ne peut égaler la solidité d’une démonstration : elle oscille entre les degrés de l’analogie. Une telle union de la physique et de la métaphysique semble relativement faible, néanmoins, elle reflète l’esprit de prudence, avide de certitude, que possède Duhem ; surtout, il ne faudrait pas négliger les promesses qu’elle concède, car selon la doctrine de la classification naturelle, cette union est vouée à se parfaire au fur et à mesure que la physique et la cosmologie se développent, chacune de leur côté.
II. 4. Le rôle de l’analogie
La notion d’analogie apparaît comme l’élément central dans la relation qu’entretiennent physique et métaphysique. Nous allons voir, cependant, qu’elle s’avère cruciale pour le développement même de la physique, c’est-à-dire dans l’usage de la méthode purement positive, et qu’elle s’applique selon plusieurs niveaux. Ensuite, nous analyserons ce que dit Duhem à propos du rapport analogique entre la théorie physique et la cosmologie ; pour finalement conclure, d’après l’exemple d’analogie que donne notre auteur, sur l’hypothèse d’un néo-thomisme chez Duhem.
Si l’usage qui nous intéresse de l’analogie a lieu dans le cadre d’une théorie physique déjà formée, assez pour montrer des signes de classification naturelle, il convient toutefois d’observer l’emploi de cette notion dans l’élaboration de la science physique. Dans un article pour le moins pertinent25, M. Awesso étudie le rôle et l’importance de l’analogie dans la conception scientifique de Duhem. En s’appuyant sur l’article « Quelques réflexions au sujet des théories physiques », il avance que l’analogie chez Duhem s’exercerait suivant quatre niveaux de la connaissance : d’abord, elle agit dans la connaissance vulgaire, et nous permet de rapprocher certains phénomènes les uns des autres ; puis, elle favorise l’induction de lois expérimentales résumant diverses classes de phénomènes ; alors, à l’aide du formalisme mathématique et d’hypothèses adéquates, l’analogie structure, ordonne, et classifie les lois de la physique expérimentale pour former une théorie physique ; enfin, au sein même de la physique théorique, elle parvient à rapprocher plusieurs théories, et incite à leur unification. Ainsi, l’épistémologie duhémienne manifeste « l’omniprésence de l’analogie dans toutes les étapes de l’investigation scientifique26 ».
Mais l’analogie, bien que présente à chaque niveau du façonnement de la théorie physique, ne conserverait pas le même degré d’assurance ; M. Awesso soutient que l’analogie prend une forme de plus en plus mathématique à mesure que l’on avance dans les étapes de l’investigation scientifique, et qu’elle devient par là plus efficace. En effet, les procédés d’analogie qui sont en usage dans la physique expérimentale ne permettent pas à eux seuls de regrouper les lois selon un ordre objectif et naturel. Duhem a insisté sur le manque de rigueur inhérent à de tels rapprochements27 ; il a aussi pointé les erreurs qui peuvent s’ensuivre de ces fausses analogies : « Newton a fixé dans un même ouvrage les lois de la dispersion de la lumière qui traverse un prisme et les lois des teintes dont se pare une bulle de savon, simplement parce que des couleurs éclatantes signalent aux yeux ces deux sortes de phénomènes28. » Or, il n’en est plus de même si les lois expérimentales sont intégrées à une structure théorique, structure qui revêt une forme mathématique. Les procédés analogiques en viendront plutôt à comparer divers ensembles de phénomènes sur la base de ce formalisme, à identifier, par exemple, les similitudes au niveau des équations qui doivent les représenter :
Le physicien qui cherche à réunir et à classer en une théorie abstraite les lois d’une certaine catégorie de phénomènes, se laisse très souvent guider par l’analogie qu’il entrevoit entre ces phénomènes et les phénomènes d’une autre catégorie ; si ces derniers se trouvent déjà ordonnés et organisés en une théorie satisfaisante, le physicien essayera de grouper les premiers en un système de même type et de même forme29.
Parmi les exemples d’analogie physique que cite Duhem, M. Awesso s’intéresse particulièrement à celui qui concerne le corps chaud et le corps électrisé. De fait, l’observation expérimentale ne suffit pas à rapprocher ces deux catégories de phénomènes ; pourtant, si on étudie l’appareil théorique et mathématique qui les régit, on se rend compte de la correspondance formelle existante : « Il s’établit alors et mathématiquement, écrit M. Awesso, une analogie théorique là où la généralisation inductive avait remarqué une séparation30. » Par conséquent, il est possible d’enrichir mutuellement les théories physiques sur la considération de leurs rapports analogiques. Parfois, cela peut même aller jusqu’à transposer tout un édifice théorique vers un champ à peine découvert de la physique, comme ce fut le cas pour Ohm31.
Nous pensons que M. Awesso a raison de remarquer que l’efficacité de l’analogie se mesure à l’aune de la rigueur du langage décrivant l’un et l’autre éléments mis en relation. C’est en tant qu’elle préserve la logique de la théorie que l’analogie se montre plus puissante que dans le cadre vulgaire ou expérimental : « Autrement dit, l’assurance qu’offre l’analogie réside dans la possibilité dont dispose le savant de transposer logiquement l’efficacité du système mathématique de la classe théorique dans l’ensemble théorique 32. » Comme au fil de l’élaboration de la théorie physique le langage est toujours plus mathématisé, l’analogie acquiert davantage de rigueur par la facilité de comparer ses éléments.
Ainsi, cela peut donner un indice quant à l’émergence de la classification naturelle dans la théorie physique. Si, comme le pense Duhem, pour rendre la théorie physique logique et cohérente, il faut y introduire une formalisation mathématique et symbolique qui lui fasse perdre la généralité et l’immédiate certitude du sens commun33 ; en revanche, il semble que l’œuvre laborieuse qu’établit l’analogie en la théorie permet de recouvrir quelque peu d’objectivité, grâce à l’efficacité qu’elle met pour relier les symboles mathématiques. En comparant par les procédés analogiques simplement deux phénomènes, on ne peut pas en tirer une connaissance profonde ; néanmoins, par le biais de la théorie qui étend son vaste domaine à ce qui est connu et découvre progressivement l’inconnu, l’analogie qui met en relation des ensembles de phénomènes, hiérarchisant les lois physiques et les domaines de la science, nous donne une idée de plus en plus crédible des rapports réels au sein de la nature. La théorie physique est donc le lieu de plusieurs analogies superposées, lesquelles se renforcent par effet d’accumulation, se précisant et se corrigeant au fur et à mesure que la mathématisation progresse. Pour autant, ce ne sont pas les mathématiques en elles-mêmes qui confèrent à l’analogie une plus grande certitude, mais, par leur clarté, elles tendent à systématiser le procédé, en rendant plus manifestes des analogies qui étaient jusque lors cachées. En effet, le développement de la théorie physique n’est pas purement logique, lorsqu’il s’agit par exemple de choisir de nouvelles hypothèses, ce qui fait que la classification naturelle ne résulte pas automatiquement d’une classification dont la règle est mathématique.
Après avoir observé le rôle et l’intérêt de l’analogie dans l’investigation proprement scientifique, il nous est désormais à charge de savoir comment Duhem y a recours dans l’investigation métaphysique. En effet, l’usage de l’analogie chez notre savant ne se limite pas à la théorie physique, mais elle vient établir un pont entre ladite théorie et la cosmologie. Le phénoménalisme duhémien impose qu’entre deux propositions, l’une physique et l’autre métaphysique, il ne peut y avoir ni accord ni contradiction : « il se peut cependant, écrit Duhem, qu’il y ait analogie ; et c’est une telle analogie qui doit relier la Cosmologie et la Physique théorique34 ». Sans se prononcer définitivement sur le lien entre physique et métaphysique, et sans confondre ces deux domaines, le cosmologiste, par le truchement de l’analogie, est en droit de s’inspirer de la théorie physique et d’en tirer de fortes présomptions quant au système qu’il souhaite élaborer :
C’est grâce à cette analogie que les systèmes de la Physique théorique peuvent venir en aide aux progrès de la Cosmologie ; cette analogie peut suggérer au philosophe tout un ensemble d’interprétations ; sa présence, nette et saisissante, peut accroître sa confiance en une certaine doctrine cosmologique ; son absence, le mettre en défiance contre une autre doctrine35.
Néanmoins, le cosmologiste doit garder à l’esprit que les procédés de l’analogie dont il use à ses fins ne sauraient être pleinement rigoureux. Si Duhem parle de preuve par analogie, il précise aussitôt qu’il ne faudrait pas « confondre une telle preuve avec une véritable démonstration logique36 ». On pourrait aussi ajouter que le langage qui sert à la cosmologie n’a rien de mathématique contrairement à celui de la physique théorique, de ce fait, l’analogie entre les deux termes ne pourra jamais s’imposer de manière aussi nette que pour le cas de l’analogie au sein de la théorie physique : « Là où un penseur voit une analogie, un autre, […] peut fort bien voir une opposition37. » Car ce n’est plus deux symboles entièrement définis qui subissent la comparaison, mais deux ensembles de principes généraux : l’un tiré de la théorie physique et qui ne s’impose pas comme objectif, l’autre provenant d’une cosmologie et possiblement de sa partie profonde et moins apparente ‒ ce qui est du moins le cas pour l’analogie que propose Duhem.
Il ne faudrait pas croire, cependant, que Duhem rattache l’analogie au subjectivisme. Pour lui, toutes les cosmologies ne se valent pas, quand bien même il est impossible d’arriver logiquement à la démonstration d’une cosmologie spécifique. En réalité, Duhem fait découler l’aperception de l’analogie de « pressentiments inanalysables que sugg[ère] l’esprit de finesse38 ». Or, bien que l’esprit de finesse ne soit pas égal en tous, les intuitions qu’il révèle sont très certaines, quoique confuses et inaperçues pour beaucoup. Parfois, nous dit Duhem39, il se peut qu’une analogie soit si frappante, que personne ne puisse la méconnaître. En outre, il aurait sûrement ajouté qu’à l’instar du bon sens en physique40, ces raisons qui ne viennent pas de la pure logique finissent un jour par se déclarer si clairement en faveur de la présence ou non d’analogie, qu’un consensus peut enfin s’établir.
Duhem avait déjà, précédemment, assigné comme tâche à l’esprit de finesse, de correctement faire la part entre l’expérience et la théorie afin de ne point égarer l’entreprise du cosmologiste41. L’esprit de finesse, désormais, doit s’attacher au sein même de la théorie à distinguer le naturel de l’artificiel, car cela est indispensable pour user légitimement de l’analogie. En effet, c’est de l’analogie avec ce qui demeure objectif en la théorie physique dont la cosmologie a besoin :
Il doit y avoir analogie, avons-nous dit, entre l’explication métaphysique du monde inanimé et la théorie physique parfaite, parvenue à l’état de classification naturelle. Mais cette théorie parfaite, nous ne la possédons pas, […] Ce n’est donc point la théorie physique actuelle qu’il faudrait comparer à la Cosmologie pour mettre en évidence l’analogie des deux doctrines, mais la théorie physique idéale42.
Nous pensons que ce que veut dire Duhem, c’est qu’il y a une analogie parfaite entre la cosmologie et la théorie physique idéale ‒ laquelle est une classification naturelle complète ‒ ; et ce, de telle façon que l’on pourrait transposer tout le cadre de cette théorie, qui ne contiendrait plus rien d’artificiel, pour obtenir le parfait système en cosmologie43. Or, puisque la théorie actuelle n’est pas idéale, une pleine analogie entre la physique et la cosmologie n’est pas praticable ; en revanche, entre ce qui, dans la théorie actuelle, constitue les prémices de la théorie idéale, et une certaine cosmologie, une analogie véritable, quoique incomplète, demeure possible. Et c’est à l’esprit de finesse qu’il revient de sonder la théorie physique pour en deviner ces prémices, ce afin d’établir la bonne comparaison.
Ceci explique pourquoi Duhem réclame une extrême prudence pour le cosmologiste, qui doit prêter une attention particulière à l’analogie dont il se sert, afin qu’elle n’associe pas son système « à quelque échafaudage théorique provisoire et caduque44 », mais « à une partie inébranlable et définitive de la Physique45 ». Pour aiguiser son indispensable esprit de finesse, le philosophe devra se faire physicien46. Il n’y a pour lui de meilleur moyen que la pratique et la maîtrise des théories physiques, si le but qu’il se propose d’atteindre est un système cosmologique qui tient sérieusement compte du progrès de la science physique. S’il souhaite établir une analogie entre son système et cette science, il devra aussi connaître les analogies qui s’élaborent en la théorie physique, car il s’agit de nœuds solides unissant en profondeur l’édifice physique, et qui n’éprouvent pas la notion d’éphémère. Ces analogies qui font se rapprocher les divers domaines de la physique, possèdent tous les caractères de la classification naturelle, puisque ce sont elles qui décrivent l’image des relations ontologiques en la nature.
Pourtant, il semble que ces précautions ne suffiraient pas à rendre les tentatives du cosmologiste crédibles au yeux de notre auteur, s’il n’existait un ultime recours : celui de l’histoire de la physique. En effet, le cosmologiste ne doit pas seulement connaître les théories physiques actuelles, mais encore celles du passé ; certainement, il lui est impératif de percer jusqu’au cœur des mécanismes qui portent l’évolution des théories physiques :
Il ne s’agit donc pas, pour le philosophe, de comparer à sa Cosmologie la Physique telle qu’elle est, en figeant en quelque sorte la Science à un instant précis de son évolution, mais d’apprécier la tendance de la théorie, de deviner le but vers lequel elle se dirige. Or, rien ne le peut sûrement guider en cette divination de la route que suivra la Physique, si ce n’est la connaissance du chemin qu’elle a déjà parcouru47.
Si l’histoire de la physique soutient la doctrine de la classification naturelle, c’est précisément en ce qu’elle nous dévoile la tendance générale, les grandes lignes qui inspirent la théorie physique à rejoindre la métaphysique. Ces traits insensibles à l’édacité du temps, qui persistent dans la force du progrès et du changement, le cosmologiste peut les prendre pour les caractères infrangibles de la théorie physique, sur lesquels fonder l’analogie reliant à son système. Il n’en reste pas moins que la tentative du philosophe découle essentiellement d’une « divination infiniment délicate et aléatoire48 », et qu’il ne peut prétendre parvenir à une démonstration qui s’imposerait de manière absolument certaine à tous.
Duhem donne un exemple du rôle capital de l’histoire de la physique dans la juste compréhension de la théorie. Selon lui, si l’on devait méconnaître l’évolution des théories physiques et ne s’attacher qu’à la pure actualité, alors on prendrait sûrement comme base de l’analogie les théories physiques mécanistes et atomistiques qui, déjà à son époque, possédaient une faveur quasi universelle. En ce cas, on se tromperait en assurant qu’elles constituent, « en une première ébauche, la forme idéale à laquelle la Physique ressemblera chaque jour davantage49 ». L’analogie qui s’ensuivrait nous prédisposerait sans conteste à la « Cosmologie des atomistes ».
Au contraire, en étudiant scrupuleusement l’histoire des doctrines physiques passées, Duhem nous dit que l’on se défait de nos préjugés. On se rend alors compte de la permanence des doctrines atomistiques, qui subsistent « depuis les temps les plus reculés », mais surtout, on prend conscience de leur inefficacité, car les vaines prétentions dont elles ornent les théories se heurtent constamment à l’échec. Seulement, derrière cette écorce vouée au dessèchement, Duhem perçoit la théorie représentative, qu’il nomme aussi abstraite, laquelle est véritablement vivifiée par la sève du progrès, et tend ainsi vers l’idéal de la classification naturelle. Pour notre physicien, il ne fait aucun doute que la théorie abstraite actuelle, celle qui jusqu’ici est la plus aboutie, n’est rien d’autre que « celle que l’on nomme Thermodynamique générale50 » :
Ce jugement nous est dicté par la contemplation de l’état actuel de la Physique, de l’harmonieux ensemble que la Thermodynamique générale compose au moyen des lois que les expérimentateurs ont découvertes et précisées ; il nous est dicté, surtout, par l’histoire de l’évolution qui a conduit la théorie physique à son état actuel51.
Si un tel jugement suit immédiatement la conception qu’a Duhem de l’histoire de la physique, quelle peut être cependant, la doctrine cosmologique analogue à la théorie dont il a fait l’œuvre de sa vie ? L’analogie que Duhem pense établir paraît quelque peu aventurée: « Cette Cosmologie, c’est la Physique péripatéticienne ; et cette analogie est d’autant plus saisissante qu’elle est moins voulue ; d’autant plus frappante que les créateurs de la Thermodynamique étaient plus étrangers à la philosophie d’Aristote52. »
Duhem esquisse alors trois aspects sur lesquels peuvent s’unir la thermodynamique générale ‒ ou l’énergétique ‒ et la cosmologie d’Aristote. Le premier concerne l’égale importance accordée aux catégories de la quantité et de la qualité. Si la physique aristotélicienne postule l’irréductibilité du qualitatif au quantitatif, l’énergétique n’en fait rien ; cependant, en prenant en compte « les diverses intensités des qualités53 » tout aussi bien que « les diverses grandeurs des quantités54 », elle s’oppose à la tendance de l’École mécaniste à tout réduire à la quantité : par là elle s’approche d’Aristote. Le second point est similaire ; au lieu de réduire les phénomènes au seul mouvement local, l’énergétique plaide en faveur de nouveaux types de mouvement, tels les variations de température, les modifications chimiques et les changements d’état électrique ou d’aimantation. La notion de mouvement est d’une portée plus large dans la physique d’Aristote, tandis qu’elle se résume au mouvement local dans les cosmologies cartésienne, atomistique et newtonienne. Enfin, sous un troisième aspect, la mécanique chimique en tant que branche de l’énergétique en revient à la notion de mixte telle qu’Aristote l’avait définie55.
Toutefois, Duhem tient à préciser que ce qu’il compare à l’énergétique, ce n’est pas la physique d’Aristote à l’état brut, mais les idées profondes et proprement philosophiques qui s’en dégagent : « Celui donc qui veut reconnaître l’analogie de la Cosmologie péripatéticienne avec la Physique théorique actuelle ne doit pas s’arrêter à la figure superficielle de cette Cosmologie ; il doit en pénétrer le sens profond56. » Et pour illustrer son propos, Duhem décrit la théorie du lieu naturel d’Aristote, laquelle lui semble « puérile », et ne paraît pas avoir la moindre analogie avec la physique moderne. Cependant, en dépouillant cette doctrine de ses détails et en allant chercher non pas la physique, mais l’idée métaphysique qui s’y trouve comme celée, alors l’analogie se manifeste tout autrement :
Nous y trouvons l’affirmation qu’un état se peut concevoir, où l’ordre de l’Univers serait parfait ; que cet état serait pour le monde un état d’équilibre et, qui plus est, un état d’équilibre stable ; écarté de cet état, le monde tend à y revenir, et tous les mouvements naturels, tous ceux qui se produisent parmi les corps sans aucune intervention d’un moteur animé sont produits par cette cause ; ils ont tous pour objet de conduire l’Univers à cet état d’équilibre idéal, en sorte que cette cause finale est, en même temps, leur cause efficiente57.
À cette compréhension de la doctrine du lieu naturel d’Aristote, Duhem associe le principe d’entropie en thermodynamique, lequel place aussi un état d’équilibre stable qui fait converger tous les mouvements de l’univers, lequel est considéré comme un système isolé. De cette ressemblance éclatante, notre savant en tire une « saisissante analogie58 » entre la cosmologie aristotélicienne et la thermodynamique. Abel Rey avait donc eu raison d’entrevoir une nette sympathie, revendiquée par Duhem, entre les idées physiques de celui-ci et la doctrine du Stagirite. Seulement, il n’avait pas vu que l’opinion du cosmologiste n’affectait en rien la pensée du physicien, que l’analogie en question suppose l’autonomie préalable des méthodes dont use la physique, et que, celle-ci n’étant pas marquée du sceau de la nécessité, elle n’implique nul contrecoup.
Dans son récent ouvrage, Science et Liberté, M. Cédric Chandelier se livre déjà à une analyse similaire de la conception duhémienne d’une analogie entre théorie physique et cosmologie59 : « L’incommensurabilité de la physique et de la métaphysique ne les rend pas arbitraires l’une vis-à-vis de l’autre, ni chacune à l’égard de la vérité60. » Il exprime donc l’influence que ces deux sciences exercent réciproquement, et ce par le biais de l’analogie. Mais Duhem lui-même reconnaît que l’on ne peut atteindre de manière décisive et universelle l’exacte vérité ‒ laquelle ne se manifestera qu’au terme de l’évolution de la théorie physique en classification naturelle ‒, et fixer ainsi durablement les rapports entre la théorie physique et la cosmologie. En ce sens, il s’agit pour lui d’une affaire extrêmement délicate que de suggérer une telle analogie, qu’un rien suffirait à vicier. M. Chandelier en vient alors à proposer, tout en sachant que Duhem ne l’accepterait pas, une cosmologie différente et irréductible à celle qui est en faveur chez notre savant : « Montrer qu’il est possible de sortir d’un tel ‘‘système cosmologique’’, ne contredit pas la liberté que prend déjà Duhem vis-à-vis de sa propre doctrine61. » Cela dit, nous ne pensons pas, malgré l’évolution intrinsèque de la cosmologie dans la conception de Duhem, que celui-ci accorde une liberté illimité dans l’entreprise du cosmologiste. Il faut d’abord, selon nous, distinguer nettement l’évolution de la cosmologie et celle de la théorie physique.
Certes, la doctrine de Duhem enseigne que si la théorie physique évolue indéfiniment vers une classification naturelle parfaite ‒ laquelle serait le point de rencontre ultime avec la cosmologie ‒, le système cosmologique préconisé par l’analogie doit également se perfectionner, et jusqu’à cette limite où l’analogie se déroberait face à l’exacte correspondance. Mais chacun de ces deux développements n’a pas la même nature. La théorie physique est, de par sa constitution, artificielle ; néanmoins, à cause de la tendance à la classification naturelle, elle devient peu à peu objective sans jamais l’être pleinement. Il est possible, et même nécessaire qu’une théorie physique se corrige, ce en s’aidant du contrôle de l’expérience. La cosmologie telle que la conçoit Duhem ‒ et les précautions quant à l’analogie prennent ici tout leur sens ‒, fait en quelque sorte migrer la vérité contenue dans la théorie physique en la dépouillant de tout élément factice. Le système cosmologique, suivant les règles que Duhem définit pour l’analogie, doit ainsi être considéré comme entièrement vrai, bien qu’étant partiel vis-à-vis d’une explication métaphysique de la totalité des phénomènes. Si ce système cosmologique évolue, il ne change pas à proprement parler, ni ne revient sur ce qui a été acquis, il n’en devient pas plus vrai : en outre, il se précise, se complète, et aboutit à une meilleure compréhension simplement en prenant compte des nouveaux phénomènes.
De plus, on ne peut arguer de l’impossibilité démonstrative de l’analogie, pour affirmer que Duhem accorde la liberté à n’importe quelle tentative métaphysique ou cosmologique. Celui-ci écrit, il est vrai, que l’appréciation de l’analogie censée relier la théorie physique à tel système cosmologique, et les conclusions qu’on en peut déduire « ne s’imposent pas62 ». Et même s’il propose son appréciation personnelle favorisant la cosmologie d’Aristote, on peut dire que l’articulation duhémienne de la théorie physique et de la cosmologie a l’avantage d’une grande ouverture. Toutefois, il y a une contrainte de taille que Duhem « impose au physicien63 », et a fortiori au cosmologiste : la doctrine de la classification naturelle. Si elle requiert pourtant une affirmation métaphysique, elle demeure nécessaire à la juste compréhension de la théorie physique selon Duhem. Cette doctrine suppose en particulier une unité ontologique, que la science découvre progressivement, et qui doit s’achever dans l’unité du savoir humain, de la Science ! ‒ physique et métaphysique incluses. On conviendra qu’il ne s’agit pas d’une mince perspective.
Au vu de ce parcours où Duhem, ne se satisfaisant pas de définir la portée de la cosmologie et comment elle devait se construire, s’est lui-même aventuré sur le terrain de la cosmologie en proposant une explication métaphysique analogue à l’enseignement de la thermodynamique, une question légitime vient à se poser : Duhem est-il aristotélicien ? Finalement, étant donné la foi de notre savant, cette interrogation nous ramène à l’aspect du néo-thomisme que nous avions déjà partiellement abordé.
Il nous semble avoir jusqu’ici, mieux encore, établi le critère d’une entente positive entre physique et métaphysique chez Duhem, bien que cet accord se fasse au prix de sévères précautions. Parmi celles-ci se trouve l’impossibilité d’une apologétique scientifique positive, entendue comme l’apport de preuves scientifiques indiscutables en faveur d’un dogme religieux. Le phénoménalisme, en effet, en dépit de l’analogie, demeure égal à lui-même. M. Stoffel, qui nie ladite entente positive, en vient tout de même à reconsidérer l’influence du néo-thomisme chez Duhem64. En effet, notre savant a entretenu des liens étroits avec la Société scientifique de Bruxelles et sa revue65, dont la devise foncièrement thomiste est que « le Vrai ne peut contredire le vrai66 ». M. Stoffel soutient alors que le phénoménalisme strict de Duhem, empêchant la physique et la métaphysique de se contredire ‒ mais aussi, faut-il le rappeler, de s’accorder ‒, peut s’entendre dans la lignée de cette devise et de l’encyclique du Pape Léon XIII, Providentissimus Deus. Il ajoute que pour répondre à l’exhortation du Pape, prônant un « retour à Aristote et à l’Aquinate67 », Duhem peut avancer la réhabilitation de la catégorie de la qualité menée en physique, grâce à la thermodynamique notamment.
De telles considérations, selon nous, n’ont pas assez de force, et demeurent peu enclines à présenter un Duhem réellement fidèle aux tendances philosophiques exprimées par Rome. Le retour de la science à Aristote que Duhem constate est très loin de se limiter à une simple prise en compte de la qualité par la physique. De plus, il faudrait préciser un point de l’analyse : la physique moderne, selon Duhem, n’émet aucune hypothèse sur la qualité à la manière de la physique péripatéticienne, au contraire, c’est justement par l’absence de ce type d’hypothèses métaphysiques ‒ dont usait le mécanisme en sens opposé ‒, par commodité donc, qu’elle use à nouveau de la qualité. Pour transformer un tel fait, neutre à priori, en un signe parmi d’autres étayant un regain des idées d’Aristote, l’analogie ‒ à savoir le dépassement du phénoménalisme strict ‒ est indispensable. Duhem ne prétend pas revenir à la physique d’Aristote, c’est entendu, mais plutôt aux idées métaphysiques et cosmologiques qui en constituent, en quelque sorte, la substantifique moelle. Mais comment tirer une portée métaphysique de certains caractères présents en la théorie physique si l’on ne peut établir aucune espèce d’entente positive avec la cosmologie ? La réponse vient elle-même : il ne peut y avoir un retour de la science à Aristote, si l’on ne considère qu’une entente purement négative entre physique et cosmologie. D’ailleurs, c’est à la doctrine de la classification naturelle que Duhem se réfère, lorsqu’il justifie la devise catholique, puisque la théorie physique, sur la base d’une analogie toujours plus profonde, rejoint immanquablement le Vrai, c’est-à-dire la métaphysique. Paradoxalement, M. Stoffel qui souhaite insister sur la notion d’unité au sein de la pensée duhémienne, n’a pas mentionné l’unité que révèle cette entente positive de la physique et de la métaphysique ; et il regrette même de ne l’avoir pas perçue :
Mais l’on ne peut s’empêcher de se demander quelle aurait été l’attitude de Duhem dans un contexte plus favorable ? N’aurait-il pas, dans ce cas, plus explicitement appuyé son projet unificateur sur l’unité même du monde et sur la motivation réaliste des scientifiques68 ?
La conception philosophique de la science chez Duhem surpasse de loin un phénoménalisme étriqué ; mieux, le phénoménalisme duhémien contient la réponse au problème qu’il pose ‒ en ce que la pratique de la physique témoigne de l’insuffisance de la méthode purement positive ‒ et conduit à son propre dépassement, par là uniquement, le savant est capable de justifier sa motivation réaliste et d’affirmer l’unité du monde, si ce n’est même d’y participer.
D’une manière plus flagrante encore, les dernières lignes de « Physique de croyant » sont caractéristiques d’une influence néo-thomiste, puisqu’il y est fait mention du Pape qui « proclamait, naguère encore, et les services que la Philosophie de S. Thomas d’Aquin a rendus jadis à la Science, et ceux qu’elle lui peut rendre à l’avenir69 ». Si Duhem doit partager un tel jugement, il demeure soucieux que sa conception de la physique n’exclut pas l’incroyant, et il observe qu’accepter la cosmologie d’Aristote ne revient pas nécessairement à admettre la foi catholique. Toutefois, notre savant ne manque pas d’achever son article sur une pointe d’apologétique :
La seule conclusion que ces faits [qui marquent la proximité de la cosmologie d’Aristote avec la Scolastique et la doctrine catholique] imposent, c’est que l’Église catholique a puissamment contribué, qu’elle contribue encore énergiquement à maintenir la raison humaine dans la bonne voie, même lorsque cette raison s’efforce à la découverte des vérités d’ordre naturel. Or quel esprit impartial et éclairé, fût-il incroyant, oserait s’inscrire en faux contre cette affirmation70 ?
Duhem choisit pourtant de délaisser la possibilité d’une apologétique scientifique positive, quoique non démonstrative, qu’il a lui-même fondée71. La raison paraît trop évidente : en sus de préserver la neutralité de la physique, Duhem pouvait se permettre, en tant que physicien, de donner des leçons sur le terrain de la cosmologie, mais il ne devait pas se croire pourvu d’une telle compétence en métaphysique spiritualiste. Quand bien même il n’oblige personne à confesser sa foi, ceux qui le suivent jusqu’en son appréciation de l’analogie découvrent qu’ils s’en sont singulièrement approchés. Et Duhem sait pertinemment que de nombreux docteurs catholiques, dont Saint Thomas d’Aquin, ont recours à la cosmologie d’Aristote dans leur entreprise de théologie naturelle. On peut ainsi penser qu’il leur laisse une place légitime, même si l’effort de fournir les raisons pour assurer leur système ne dépend que d’eux seuls.
Que Duhem soit aristotélicien ou néo-thomiste, la question ne paraît pas univoque, ni tranchée. En effet, qu’on se souvienne de son travail en histoire des sciences, où il conçoit l’Église opposée à l’œuvre d’Aristote, ses préoccupations l’amenant à détailler la sape de la physique péripatéticienne pour annoncer la naissance de la science moderne. Comment concilier cet aspect de la pensée de notre auteur avec celui en lequel il se félicite d’un retour des idées d’Aristote en physique ? Selon nous, cela signifie simplement que Duhem peut admirer ce qu’il juge bon chez un savant, et se montrer critique ou sévère pour ce qui ne résiste pas à son analyse. Chez Descartes, Duhem apprécie le génie qui est à l’origine de l’œuvre purement scientifique ‒ c’est-à-dire la théorie abstraite et symbolique ‒, en même temps qu’il est l’adversaire du philosophe et de ses idées métaphysiques. Pour Aristote, c’est tout l’inverse : Duhem s’attaque en histoire à la couche scientifique, vétuste et superficielle de la physique du Stagirite, gênant l’apparition de la physique moderne ; tandis qu’il plaide pour une renaissance des idées cosmologiques et profondes du Philosophe sur la base même de la théorie physique abstraite et actuelle.
On pourrait en dire autant à propos de Saint Thomas d’Aquin. Si l’on entend par néo-thomiste, un disciple qui admet en tout point la philosophie de l’Aquinate, assurément alors, Duhem ne l’est point : lui-même écrit qu’il n’y a pas à proprement parler de philosophie thomiste72 ! Cependant, l’influence néo-thomiste ‒ et peut-être thomiste tout simplement73 ‒ qui s’exerce sur la pensée de Duhem est indéniable : en filigrane de l’articulation entre physique et métaphysique, on comprend que notre savant ait essayé d’harmoniser les rapports entre science et foi, respectant la devise thomiste qui dit que « le vrai ne peut contredire le Vrai », il la certifie à sa façon par les gages que promet sa conception de l’analogie, corollaire de la classification naturelle.


Au cours de cette seconde partie, nous avons tenté de comprendre comment la philosophie de la physique chez Duhem pouvait influencer et soutenir sa conception de la métaphysique. De fait, cette démarche nous a conduit à étudier plus précisément les rapports entre la philosophie scientifique de notre auteur et sa foi catholique.
Dans un premier temps, il nous a fallu revenir sur la question du phénoménalisme, en le considérant cette fois du point de vue de ses origines et conséquences métaphysiques. Ainsi, en prenant également compte de l’histoire des sciences, nous avons conclu négativement quant à l’existence d’une stratégie de croyant ou d’un lien direct entre phénoménalisme et métaphysique. Dans un second temps, nous avons tenu néanmoins à préciser l’existence d’un lien indirect. D’abord, par le biais d’une apologétique négative, c’est-à-dire l’immunité procurée à la religion, qui n’est que la contrepartie à son manque d’intervention en physique ; et celui d’une apologétique historique, qui use à divers degrés du phénoménalisme et demeure accidentelle malgré le développement que Duhem lui accorde. Ensuite, en exposant une apologétique basée sur la doctrine de la classification naturelle, cela nous a permis de mieux apprécier le passage du phénoménalisme à l’aspect métaphysique de la pensée duhémienne, et d’observer notamment qu’un tel relais n’est pas immédiat et préserve la radicalité du phénoménalisme en physique.
Enfin, nous avons étudié l’élaboration de la cosmologie chez Duhem, et comment la physique, selon lui, doit y contribuer. Les lois et phénomènes physiques servent de fondement à la cosmologie comme à la physique. La conception positive de la théorie physique ‒ le phénoménalisme ‒ influence la cosmologie en lui délimitant son propre domaine et en lui évitant toute confusion. La conception métaphysique de la théorie physique ‒ la doctrine de la classification naturelle ‒, en revanche, dicte les règles précises qui permettent le progrès de la cosmologie ; en tirant l’analogie de la classification naturelle, une réelle entente positive entre la théorie physique et la cosmologie émerge. De cet accord possible, on peut en dégager une voie de conciliation entre science et foi : ce qui semble inscrire Duhem, quoique d’une manière originale, dans la lignée du néo-thomisme.
Conclusion
Tout au long de ce mémoire notre objectif fut d’étudier les rapports que la physique et la métaphysique entretiennent dans l’œuvre de Pierre Duhem. Il est apparu sans trop tarder que ces rapports n’étaient pas nuls : des considérations métaphysiques s’intègrent effectivement à la pensée de notre auteur. Partant, il nous a été possible de scruter la nature de l’articulation que Duhem tente d’établir entre la physique et la métaphysique. S’il fallait donner un mot pour définir ce système de relation que décrit la philosophie duhémienne, nous choisirions celui d’harmonie.
Le plan bipartite que nous avons adopté constitue de fait un plan en miroir, puisqu’il aborde initialement ladite articulation du point de vue de la physique, pour ensuite renverser la perspective du côté de la métaphysique. Ainsi, dans la première partie, nous nous sommes attaché à mettre en évidence l’influence exercée par la métaphysique sur la conception de la physique chez Duhem. Le premier chapitre semble tout d’abord exclure une telle influence, étant donné l’inclination de Duhem pour une philosophie de la science strictement positive ‒ le phénoménalisme ‒, en raison des prétentions illégitimes des réalistes qui subordonnent la physique à la métaphysique. Mais le second chapitre dissipe le malentendu : notre savant refuse absolument que l’on confonde les méthodes physique et métaphysiques, ce qui ne signifie pas qu’il proscrit toute recherche métaphysique à l’instar du positivisme. De plus, il se trouve que le physicien ne peut se contenter de la seule méthode positive afin d’appréhender complètement son sujet d’étude, c’est-à-dire la théorie physique elle-même. Il doit pour ce faire avoir recours à la méthode métaphysique, et souscrire à la doctrine de la classification naturelle. Ce point crucial révèle alors une influence de la métaphysique sur la conception de la physique. Par la suite, les deux chapitres suivants nous ont permis d’expliciter le mouvement qui conduit le physicien sur le terrain de la métaphysique. Le sens commun, que Duhem conçoit à l’origine de toute science, s’est révélé comme un facteur majeur incitant à la métaphysique ; en effet, car il apprend au physicien les limites de sa propre méthode. L’intuition du sens commun déborde le cadre de la méthode physique, or, en découvrant l’idée de classification naturelle telle une vérité évidente, le physicien investit alors un nouveau cadre, métaphysique celui-ci. L’histoire de la physique, quant à elle, renforce l’intuition du sens commun en faveur de la classification naturelle. En faisant prendre du recul au physicien et à sa conception de la théorie physique, la méthode historique se confond pour Duhem en une méthode métaphysique, et ce précisément dans les conclusions qu’il en tire, puisque le continuisme devient la preuve de la classification naturelle.
Dans la seconde partie de notre mémoire, nous avons voulu examiner, en nous plaçant du côté de la métaphysique, si la physique n’exerçait-elle pas une influence dans ce domaine. D’abord, nous sommes revenu dans le premier chapitre sur la difficulté du phénoménalisme, lequel semble interdire toute communication entre la physique et la métaphysique. En réponse à Abel Rey, Duhem nie une quelconque intrusion de la physique sur le terrain de la métaphysique, et l’inverse également. Par là, on comprend qu’aucune apologétique directe n’est envisageable. Cependant, nous avons constaté dans le second chapitre qu’une apologétique indirecte était possible ; car bien que le phénoménalisme empêche la religion d’utiliser la science à son avantage, il la protège en outre efficacement des attaques scientistes. De surcroît, sans qu’il y ait intrusion de la physique ni de la métaphysique en leur domaine respectif, une influence réciproque reste admissible : effectivement, la doctrine de la classification naturelle joue le rôle de pivot, c’est-à-dire qu’elle autorise tant la métaphysique à compléter la conception de la théorie physique, que la théorie physique à suggérer une apologétique métaphysique sous la forme d’un providentialisme. Toutefois, la marque d’une influence de la physique sur la métaphysique ne se limite pas à ces considérations, l’aspect fondamental d’une telle influence se manifeste dans les rapports entre la théorie physique et la cosmologie. Ce sont cesdits rapports que nous avons étudié dans le troisième chapitre : il est apparu que le phénoménalisme ‒ conception purement positive de la théorie physique ‒ agissait sur la cosmologie elle-même en fixant les limites propres à son domaine. Plus, par l’intermédiaire de la doctrine de la classification naturelle et à travers la notion d’analogie, nous avons vu que la théorie physique participait activement au progrès de la cosmologie. Dans le dernier chapitre, nous nous sommes livré à une analyse approfondie de la notion d’analogie et de l’utilisation qui en était faite chez Duhem, pour montrer finalement comment elle garantissait l’entente entre physique et métaphysique tout en préservant leur autonomie respective.
D’un tel bilan nous pouvons conclure un premier point : la physique et la métaphysique chez Pierre Duhem apparaissent comme complémentaires, s’enrichissant mutuellement. Si, pour notre savant, le physicien doit devenir en plus métaphysicien afin de pénétrer à plein les enseignements de la physique, afin d’être un physicien véritable et achevé ; de même, le cosmologiste, s’il espère construire un système exempt d’erreur, ne peut manquer d’être aussi physicien et de connaître précisément les fondements sur lesquels il assied sa discipline. L’universalité du savoir, voilà l’idéal que nous soumet Duhem.
Le second point que l’on peut dégager, c’est que la distinction qu’établit Duhem entre physique et métaphysique s’avère nécessaire dans la mesure où l’on souhaite unir favorablement ces deux types de science. Parce qu’elles ne se situent pas sur un même plan, elles ne s’opposent nullement. Et nonobstant l’union idéale qui se trouve au terme du développement de la classification naturelle, il s’agit pour la raison humaine de réaliser en son sein l’union effective de la physique et de la métaphysique. L’harmonie naît dans la compréhension globale du savant-philosophe, lequel ne confond pas les diverses méthodes et sépare judicieusement les domaines de compétence de chaque science, pour combiner au final les avantages qu’il tire séparément de la physique et de la métaphysique. Le meilleur exemple vient de la comparaison entre lois physiques et lois de sens commun que Duhem aborde dans La Théorie physique, et dont nous pouvons transposer l’analyse aussi bien à la comparaison entre physique et métaphysique : « Entre la précision et la certitude il y a une sorte de compensation ; l’une ne peut croître qu’au détriment de l’autre74. » Néanmoins, si la physique est une science précise tandis que la métaphysique est une science certaine, le savant avisé ne s’oblige pas à choisir : il fait simplement un usage équilibré des deux. Enfin, suivant la tendance à la classification naturelle, qui marque une compénétration de la physique et de la métaphysique, précision et certitude s’allient sans répugnance pour former un savoir universel, lequel s’élargit au fur et à mesure que chacune des sciences se perfectionne.
Il est difficile, après ces quelques considérations, de ne pas concevoir la philosophie duhémienne comme un système : tout s’y tient étroitement lié, et subsiste en une unité cohérente. Du reste, cette doctrine ne s’arrête pas à la description d’un champ du savoir, mais elle consiste aussi dans une recherche du sens, laquelle se remarque surtout par une progression singulière. En effet, il est possible de caractériser la philosophie de la science de notre auteur par deux étapes bien identifiables : le passage du phénoménalisme strict à la doctrine de la classification naturelle, et le moment où Duhem justifie la cosmologie aristotélicienne. Même si la philosophie duhémienne est systémique et plutôt contraignante, elle n’en reste pas moins ouverte. Premièrement, il apparaît que le phénoménalisme se suffit à lui-même, et ne commande pas logiquement au physicien d’adhérer à la notion de classification naturelle. En revanche, si Duhem impose au physicien cet aspect de sa doctrine, c’est qu’il considère que la physique elle-même pousse à une transformation du phénoménalisme pur. Il n’empêche que le positiviste, pour aveugle qu’il soit de l’orientation de la physique, demeurera tout à fait cohérent en se bornant à la méthode positive, à la stricte logique de la physique. Par sa doctrine de la classification naturelle, notre savant embrasse une vue plus large que le phénoménalisme pur, il intègre celui-ci sans pour autant l’altérer. Secondement, lorsque Duhem définit les règles de l’analogie, il demeure possible d’en accepter le cadre sans souscrire immédiatement à la cosmologie aristotélicienne proposée. Duhem se garde bien, en effet, d’imposer une telle cosmologie, quoiqu’il apporte maintes raisons en sa faveur. Au final, le système philosophique que notre physicien élabore s’élève de la physique vers la métaphysique, en passant d’idées ancrées à son métier à des idées plus personnelles ‒ l’analogie peut avoir un fondement objectif mais reste tributaire de l’esprit de finesse qui la suggère ‒, et ce dans un mouvement qui s’affranchit progressivement de la contrainte.
On pourrait, afin de conclure, assimiler l’essence même de la démarche duhémienne à celle de Pascal, qui est adroitement résumée par cette pensée : « Nous avons une impuissance de prouver invincible à tout le dogmatisme ; nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme75. » Lorsque Duhem expose sa doctrine, il en vient à combattre sur deux front à la fois ; lutant contre le réalisme scientifique dogmatique et le scepticisme, ce qui est particulièrement visible en La Théorie physique. Surtout, il se sert des armes de l’un afin de réfuter l’autre, et réciproquement. À la manière d’un Pascal qui procédait à la destruction des philosophies en confrontant les arguments d’Épictète et de Descartes à ceux de Montaigne76 ; Duhem alimente le conventionnalisme tandis qu’il reprend à son compte sous des traits similaires, certes en le reformulant, l’argumentaire d’Eugène Vicaire. Ainsi, on a pu taxer notre savant de scepticisme ou de positivisme, et le considérer comme une figure de l’anti-réalisme, pourtant la critique n’a pu éluder l’aspect réaliste de sa doctrine. C’est dans le difficile équilibre de ces positions archétypales que Duhem cherche la vérité, or nous pensons avoir montré que cet équilibre n’est pas impossible ni contradictoire : Duhem est phénoménaliste lorsqu’il s’agit pour lui d’œuvrer en tant que physicien, mais qu’il réfléchisse et s’attarde sur le sens et la portée de sa science, qu’il dépasse le seuil de la méthode métaphysique, dès lors il s’affirmera réaliste. La complexité et la subtilité des rapports entre physique et métaphysique chez Duhem sont la véritable cause de l’apparente duplicité qui caractérise la pensée de notre savant auteur.
Annexe
Voici la lettre au Père Joseph Bulliot77 que Duhem écrivit le 15 mai 1911, et qui a tout l’air de constituer un véritable programme apologétique :
[Introduction]
Mon Père,
J’ai ouï dire que l’Institut catholique de Paris se préparait à organiser un ensemble coordonné d’enseignements philosophiques. Cette nouvelle m’a causé grande joie, et elle causera grande joie, je pense, à tout catholique clairvoyant ; il est temps, en effet, qu’aux nombreux et savants enseignements de la philosophie indifférente ou adverse, nous opposions tout un collège de chaires où la philosophie traditionnelle du catholicisme soit exposée en toute sa force et en tout son développement.
Au sujet de la composition du futur Institut de philosophie, des réflexions me sont venues, dont je vous demande la permission de vous faire part. Ce ne sont pas des conseils qui, venant de moi, seraient impertinents ; ce sont, bien plutôt, de simples renseignements. Vivant au milieu de ceux qui professent des doctrines contraires aux nôtres, je suis bien placé pour connaître leur plan d’attaque contre nous et pour voir où nos défenses doivent être surtout renforcées.
[Spécificité du conflit actuel]
Le champ où la bataille est déjà engagée, où, sans aucun doute, elle va devenir de plus en plus violente, c’est l’incompatibilité de l’esprit scientifique et de l’esprit religieux.
Je ne dis pas incompatibilité de telle découverte scientifique avec telle doctrine religieuse. De ces antagonismes particuliers fut faite la polémique du dix-neuvième siècle. On s’y ingéniait, par exemple, à opposer telle théorie géologique à tel verset de la Bible. Mais ce furent là escarmouches isolées qui préparaient la grande mêlée. Celle-ci est beaucoup plus ample et le résultat auquel elle tend menace d’être beaucoup plus radical. Il s’agit de dénier à toute religion le droit de subsister, et cela au nom de toute la science. On prétend établir qu’aucun homme sensé ne saurait, en même temps, admettre la valeur de la science et croire aux dogmes d’une religion ; et comme la valeur de la science s’affirme chaque jour davantage par mille inventions merveilleusement utiles, comme un esprit aveugle pourrait seul la révoquer en doute, c’en est fait de la foi religieuse.
[La thèse de l’incompatibilité établie par la logique]
Pour établir cette incompatibilité essentielle et absolue entre toute science et toute religion, on fait appel à l’analyse logique des méthodes par lesquelles l’une et l’autre se produisent.
La science, dit-on, prend pour fondements soit des axiomes qu’aucune raison ne peut nier, soit des faits qui ont toute la certitude du témoignage des sens ; tout ce qu’elle élève sur ces fondements est construit à l’aide d’un raisonnement rigoureux ; et par surcroît de précautions, l’expérience vient contrôler chacune des conclusions auxquelles elle aboutit ; l’édifice entier garde donc l’inébranlable solidité des premières assises.
Les dogmes religieux, au contraire, sont issus d’aspirations et d’intuitions vagues et insaisissables, qui naissent du sentiment et non point de la raison, qui ne se soumettent à aucune règle logique et ne sauraient, même un instant, soutenir l’examen d’une critique quelque peu rigoureuse.
Dès lors, ou bien l’on déclarera que tout ce qui a fait l’objet des dogmes religieux est absurde et dénué de sens, et l’on se contentera d’un positivisme étroit et absolu, bien voisin du grossier matérialisme qui en est comme une conclusion forcée. Ou bien l’on regardera cet objet, qui échappe aux démonstrations de la science, comme incapable d’être connu avec la moindre certitude ; on professera un agnosticisme pour lequel toute religion n’est qu’un rêve plus ou moins poétique et consolateur ; mais comment celui qui a éprouvé les fermes réalités de la science se laisserait-il encore bercer par un tel rêve ?
[La thèse de l’incompatibilité établie par l’histoire]
Cet antagonisme entre l’esprit scientifique et l’esprit religieux, on ne se contente pas de le mettre en évidence à l’aide de la logique. On veut encore que l’histoire du développement des connaissances humaines le fasse éclater aux yeux les moins clairvoyants. On nous montre comment toutes les sciences sont nées de la féconde philosophie hellénique, dont les plus brillants adeptes abandonnaient au vulgaire le soin ridicule de croire aux dogmes religieux. On nous dépeint avec épouvante cette nuit du Moyen Âge pendant laquelle les écoles, asservies aux agissements du Christianisme, uniquement soucieuses de discussions théologiques, n’ont pas su recueillir la moindre parcelle de l’héritage scientifique des Grecs. On fait resplendir à nos yeux les éblouissements de la Renaissance où les esprits, libérés enfin du joug de l’Église, ont retrouvé le fil de la tradition scientifique, en même temps que le secret de la beauté artistique et littéraire. On se plaît à opposer, à partir du seizième siècle, la marche toujours ascendante de la science, à la décadence, toujours plus profonde, de la religion. On se croit alors autorisé à prophétiser la mort prochaine de celle-ci en même temps que le triomphe universel et incontesté de celle-là.
Voilà ce qui s’enseigne dans une foule de chaires, ce qui s’écrit dans une multitude de livres.
[Riposte au niveau de la logique]
Devant cet enseignement, il est temps que l’enseignement catholique se dresse, et qu’à la face de son adversaire, il jette ce mot : mensonge ! Mensonge dans le domaine de la logique, mensonge dans le domaine de l’histoire ; l’enseignement qui prétend établir l’irréductible antagonisme entre l’esprit scientifique et l’esprit chrétien, est le mensonge le plus colossal, le plus audacieux qui ait jamais tenté de duper les hommes.
Pour opposer la méthode qui conduit aux vérités scientifiques à la méthode qui mène aux dogmes religieux on décrit à faux l’une et l’autre de ces méthodes ; on les regarde toutes deux d’une manière superficielle et comme du dehors ; on s’empare de quelques caractères que devine cet examen rapide, et l’on en fait l’essence même des procédés que l’on prétend avoir analysés.
Combien ces méthodes se montrent différentes à celui qui les a réellement pénétrées jusqu’au cœur, qui a saisi, en chacune d’elles, le principe de vie ! Celui-là sait reconnaître à la fois ce qui donne de la variété à ces procédés et ce qui en fait l’unité. Partout, il voit une même raison humaine user des mêmes moyens essentiels pour parvenir à la vérité ; mais en chaque domaine, il voit cette raison adapter l’usage qu’elle fait de ces moyens à l’objet spécial dont elle veut acquérir la connaissance ; ainsi, à l’aide d’opérations communes qui constituent proprement notre intelligence, il voit suivre une méthode des sciences mathématiques, une méthode de la physique, une méthode de la chimie, une de la biologie, une de la sociologie, une de l’histoire ; car les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie, la sociologie, l’histoire ont des principes différents et des objets différents et, pour atteindre ces objets, il faut, de points de départ divers, mais du même pas, suivre des routes différentes. Il reconnaît alors que pour aller aux vérités religieuses, la raison humaine n’emploie pas d’autres moyens que ceux dont elle se sert pour atteindre les autres vérités ; mais elle les emploie d’une manière différente parce que les principes dont elle part et les conclusions auxquelles elle tend sont différents. L’antagonisme que l’on avait dénoncé entre la démonstration scientifique et l’intuition religieuse disparaît à ses yeux, tandis qu’il perçoit l’harmonieux accord des doctrines multiples par lesquelles notre raison s’efforce d’exprimer les vérités des divers ordres.
[Riposte au niveau de l’histoire]
Que dire de l’étrange histoire par laquelle on prétend confirmer ce qu’une analyse logique insuffisante avait affirmé à la légère ?
Dès sa naissance, la science hellène est toute imprégnée de théologie, mais d’une théologie païenne. La théologie enseigne que les cieux et les astres sont des dieux ; elle enseigne qu’ils ne peuvent avoir d’autre mouvement que le mouvement circulaire et uniforme qui est le mouvement parfait ; elle maudit l’impie qui oserait attribuer un mouvement à la terre, foyer sacré de la divinité. Si ces doctrines théologiques ont fourni quelques postulats provisoirement utiles à la science de la nature, si elles en ont guidé les premiers pas, elles sont bientôt devenues pour la physique ce que les lisières deviennent pour l’enfant : des entraves. Si l’esprit humain n’avait brisé ces entraves, il n’aurait pu en physique dépasser Aristote, ni Ptolémée en astronomie.
Or, ces entraves, qui les a rompues ? Le Christianisme. Qui a, tout d’abord, profité de la liberté ainsi conquise pour s’élancer à la découverte d’une science nouvelle ? La scolastique. Qui donc au milieu du quatorzième siècle a osé déclarer que les cieux n’étaient point mus par des intelligences divines ou angéliques, mais par une impulsion indestructible reçue de Dieu au moment de la création, à la façon dont se meut la boule lancée par le joueur ? Un maître ès arts de Paris : Jean Buridan. Qui a, en 1377, déclaré le mouvement diurne de la terre, plus simple et plus satisfaisant pour l’esprit que le mouvement diurne du ciel, qui a nettement réfuté toutes les objections élevées contre le premier de ces mouvements ? Un autre maître de Paris, devenu évêque de Lisieux : Nicole Oresme. Qui a fondé la dynamique, découvert les lois de la chute des graves, posé les fondements d’une géologie ? La scolastique parisienne, en des temps où l’orthodoxie catholique de la Sorbonne était proverbiale dans le monde entier. Quel rôle ont joué, en la formation de la science moderne, ces libres esprits, tant vantés, de la Renaissance ? En leur superstitieuse et routinière admiration de l’antiquité, ils ont méconnu et dédaigné toutes les idées fécondes qu’avait émises la scolastique du quatorzième siècle, pour reprendre les théories les moins soutenables de la physique platonicienne ou péripatéticienne. Que fut, à la fin du seizième siècle et au commencement du dix-septième siècle ce grand mouvement intellectuel qui a produit les doctrines désormais admises ? Un pur et simple retour aux enseignements que donnait, au moyen âge, la scolastique de Paris, en sorte que Copernic et Galilée sont les continuateurs et comme les disciples de Nicole Oresme et de Jean Buridan. Si donc cette science, dont nous sommes si légitimement fiers, a pu voir le jour, c’est que l’Église catholique en a été l’accoucheuse.
[Conclusion]
Tels sont les démentis, qu’en histoire comme en logique, il nous faut opposer aux affirmations mensongères partout répandues. Ne croyez-vous pas, mon Père, que ce serait l’un des rôles les plus importants, peut-être même le rôle essentiel, que le futur Institut de philosophie aurait à jouer ? Voilà pourquoi je me prends à penser que deux chaires seraient bien à leur place en cet Institut : l’une, consacrée à l’analyse des méthodes logiques par lesquelles progressent les diverses sciences, nous montrerait que l’on peut, sans contradiction, ni incohérence, poursuivre l’acquisition des connaissances positives et, en même temps, méditer les vérités religieuses. L’autre, suivant au cours de l’histoire le développement de la science humaine, nous amènerait à reconnaître qu’aux temps où les hommes étaient soucieux avant tout du royaume de Dieu et de sa justice, Dieu leur accordait par surcroît les pensées les plus profondes et les plus fécondes sur les choses d’ici-bas.
Me jugerez-vous bien osé de vous avoir ainsi communiqué mes souhaits ? Assurément non ; car vous savez que le seul souci qui me guide en cette affaire, c’est le désir de voir le règne de Dieu rétabli parmi nous ; et, pour un tel objet, il n’est pas d’audace qui ne soit non seulement permise, mais ordonnée.
D’ailleurs, lorsqu’à la vue de l’anarchie intellectuelle où se débat, en ce moment, l’esprit humain, je crie vers Dieu : Adveniat regnum tuum, il me semble entendre votre prière qui fait écho à la mienne. Puissions-nous être exaucés ! C’est le vœu que je forme en vous offrant mes très respectueux hommages.
P. Duhem

Bibliographie
Sources primaires
Duhem, Pierre Maurice Marie. La science allemande. Paris: Librairie scientifique A. Hermann et Fils, 1915.
———. La Théorie physique: Son objet et sa structure. Paris: Chevalier & Rivière, 1906.
———. « La valeur de la théorie physique ». Revue des Sciences pures et appliquées, 19e année, 1908, p. 7-19.
———. Le mixte et la combinaison chimique. Paris: Gauthier-Villars Imprimeur-Libraire, 1902.
———. Les origines de la statique. Vol. 2. Paris: Librairie scientifique A. Hermann, 1906.
———. L’évolution de la mécanique. Paris: Librairie scientifique A. Hermann, 1905.
———. « Physique de croyant ». Annales de Philosophie Chrétienne, 77e année, t. CLI (4e série, t. I), octobre 1905, n˚ 1, p. 44-67 et novembre 1905, n˚ 2, p. 133-159.
———. « Physique et métaphysique ». Annales de Philosophie Chrétienne, 63e année, t. CXXVII (nouvelle série, t. XXVIII), août-septembre 1893, p. 461-486.
———. Traité d’énergétique ou de thermodynamique générale. Vol. 1. Paris: Gauthier-Villars Imprimeur-Libraire, 1911.
———. ΣΩZEIN TA ΦAINOMENA: Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. Paris: Librairie scientifique A. Hermann et Fils, 1908.
Duhem, Pierre Maurice Marie, et Anastasios Brenner. L’aube du savoir: épitomé du système du monde. Histoire de la pensée. Paris: Hermann, 1997.
Sources secondaires
Boyer, Alain. « Physique de croyant ? Duhem et l’autonomie de la science ». Revue Internationale de Philosophie, vol. 46, n° 182, mars 1992, p. 311-322.
Chandelier, Cédric. Science et liberté: crise de la conscience et transformation de la science au tournant du XXe siècle. Paris: Hermann, 2016.
Puech, Michel. « L’histoire des sciences selon Duhem, une crypto-théologie de la Providence ». Raison présente, n° 119, 1996, p. 59-86.
Rey, Abel. « La philosophie scientifique de M. Duhem ». Revue de Métaphysique et de Morale, t. 12, n° 4, juillet 1904, p. 699-744.
Stoffel, Jean-François. Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem. Mémoires de la Classe des Lettres / Académie Royale de Belgique Collection in 8°, Sér. 3, 27. Bruxelles: Académie Royale de Belgique, 2002.
Vicaire, Eugène. « De la valeur objective des hypothèses physiques ». Annales de Philosophie Chrétienne, t. XXVIII, 1893, p. 50-80.

Pour la Vérité !
Lars Sempiter.

1. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 133.
2. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 134.
3. Voir à la page 60 du présent ouvrage.
4. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 134.
5. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 135.
6. Le physicien peut faire œuvre de physicien quand bien même il n’aurait qu’une vague idée de sa méthode. Les physiciens non phénoménalistes, malgré les erreurs de jugement qui leur échoient, demeurent aux yeux de Duhem des physiciens. Le réaliste, comme Descartes, apportera tout de même par son travail positif, mêlé aux vaines tentatives d’explication, une œuvre durable qui servira la postérité. En revanche, si le cosmologiste confond dès le départ la théorie physique et son domaine, le système qu’il prétend élever sera gâté à la racine.
7. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 136.
8. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 136.
9. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 143. L’italique est de nous.
10. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 143-144.
11. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 144. L’italique est de nous.
12. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 146. L’italique est de nous.
13. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 146. L’italique est de nous.
14. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 321.
15. Joseph Bulliot fut un néo-thomiste et un professeur de philosophie à l’Institut catholique de Paris.
16. D’après J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 324.
17. D’après J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 324.
18. D’après J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 324.
19. D’après J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 326.
20. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 327.
21. C’est-à-dire du chapitre VI au chapitre IX.
22. C’est-à-dire du chapitre I au chapitre V.
23. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 328.
24. P. DUHEM, « Physique et métaphysique », p. 471. Duhem écrit notamment que « les lois physiques sont le point de départ logique de toute recherche métaphysique touchant l’essence des choses matérielles ».
26. H.-A. AWESSO, « Analogie et connaissance scientifique chez Pierre Duhem », p. 4. Nous donnons ici la pagination du document pdf mis en lien, et non comme dans la revue, que nous n’avons pas pu consulter.
27. H.-A. AWESSO, « Analogie et connaissance scientifique chez Pierre Duhem », p. 8.
28. P. DUHEM, TP, p. 32.
29. P. DUHEM, TP, p. 152.
30. H.-A. AWESSO, « Analogie et connaissance scientifique chez Pierre Duhem », p. 12.
31. P. DUHEM, TP, p. 152.
32. H.-A. AWESSO, « Analogie et connaissance scientifique chez Pierre Duhem », p. 13.
33. P. DUHEM, TP, p. 291-293.
34. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 146.
35. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 146-147.
36. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 147.
37. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 147.
38. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 148. Un passage similaire se trouve en un autre ouvrage : P. DUHEM, Le mixte et la combinaison chimique, Paris, Gauthier-Villars Imprimeur-Libraire, 1902, p. 80.
39. P. DUHEM, Le mixte et la combinaison chimique, p. 80-81. Il est vrai que Duhem parle ici de l’analogie en chimie, et non en cosmologie ; cependant, le principe ne saurait pâtir de cette variante.
40. P. DUHEM, TP, p. 358.
41. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 135-136.
42. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 147. Il nous semble relever une contradiction avec cette citation où Duhem présente une simple analogie entre la cosmologie et la théorie physique ayant tous deux atteints la perfection, et la citation précédente (voir à la page 133 du présent ouvrage) où il s’agit d’une exacte correspondance. Selon ce que nous avons compris de sa doctrine, la théorie physique vue comme une classification naturelle tend idéalement à s’identifier à une cosmologie parfaite.
43. Cela se ferait à la manière d’une théorie physique complètement déduite de l’analogie avec une précédente théorie, comme la théorie d’Ohm par rapport avec celle de Fourrier, c’est-à-dire la conduction de l’électricité basée sur la conduction de la chaleur.
44. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 148.
45. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 148.
46. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 136.
47. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 149.
48. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 151.
49. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 150.
50. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 152.
51. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 152.
52. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 153.
53. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 154.
54. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 154.
55. P. DUHEM, Le mixte et la combinaison chimique, p. 199-207. Duhem explique plus en détail dans la conclusion de cet ouvrage ce qu’il entend rapprocher entre la théorie physique qu’il défend et la cosmologie d’Aristote.
56. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 155.
57. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 157.
58. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 158.
59. C. CHANDELIER, Science et Liberté. Crise de la conscience et transformation de la science au tournant du XX siècle, Paris, Hermann Éditeurs, 2016, p. 191-203.
60. C. CHANDELIER, Science et Liberté, p. 198.
61. C. CHANDELIER, Science et Liberté, p. 200.
62. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 151.
63. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 151.
64. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 328-329.
65. La Revue des Questions Scientifiques, fondée par le prêtre jésuite Carbonelle, dans laquelle Duhem a publié ses premiers articles philosophiques, et de nombreux autres qui furent par la suite compilés en ouvrages, appartient à la Société scientifique de Bruxelles, d’inspiration ouvertement néo-thomiste.
66. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 331.
67. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 331.
68. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 352.
69. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 158.
70. P. DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 159. Voir aussi un autre passage, assez proche, et qui témoigne de la faveur des idées de la Scolastique auprès de Duhem : P. DUHEM, Le mixte et la combinaison chimique, p. 201.
71. Bien que le phénoménalisme de notre savant neutralise la possibilité d’une apologétique scientifique positive au sens strict, il reste tout à fait possible, par le recours à l’analogie et à la cosmologie d’Aristote, de tirer de fortes présomptions en faveur de tel ou tel dogme de la religion catholique : même si ces raisons ne s’imposent pas pleinement et sont dans l’incapacité de convaincre, elles peuvent encore persuader.
72. P. DUHEM, L’aube du savoir, p. 314. Si Duhem est tant sévère dans son jugement à l’encontre de la doctrine philosophique du Docteur angélique, cela s’explique par le fait qu’il souhaite faire remarquer clairement, surtout aux néo-thomistes contemporains, l’impossibilité d’une synthèse entre l’aristotélisme et le dogme catholique. Ce qui ne retire rien aux éloges qu’il lui fait par ailleurs, en écrivant que « mieux qu’Averroès, il eût mérité le titre de Commentateur » (p. 311).
73. Voir Le mouvement néo-thomiste, Revue néo-scolastique, 8ᵉ année, n° 32, 1901, p. 402-403. Où M. Mansion, directeur de la Revue des Questions Scientifiques, indique l’importance que prit Duhem dans l’orientation de cette revue vers un « thomisme élargi ».
74. P. DUHEM, TP, p. 292.
75. Citation tirée de la pensée n° 406 de Blaise Pascal, édition Lafuma. Et ce n’est pas un hasard si Duhem l’attribue par ailleurs à son modèle du Moyen Âge, Jean Buridan (voir P. DUHEM, L’aube du savoir, p. 390).
77. Nous copions ici l’exemplaire qu’en donne M. Jean-François Stoffel dans Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 302-307.

2 commentaires:

  1. Bonjour cher Lars,

    Simple message de courtoisie, qui n'appelle pas de réponse, suite à votre message publié sur média-presse.info qui, je suppose, m'était adressé (à moi Sylvain, le même avec qui vous aviez échangé à propos de Vincent Morlier il y a quelques mois).

    Un grand merci pour vos commentaires édifiants plus anciens sur ce même site. L'un d'entre eux m'a permis de découvrir, il y a quelques jours seulement, le site "http://restaurationdelafamille.blogspot.fr" qui me sera d'une grande aide si un jour le Bon Dieu me fait la grâce de devenir Chef de Famille (même si je ne partage pas toutes leurs vues concernant "l'éclipse" de l’Église).

    Votre combat contre le féminisme, défendant par là même la véritable dignité de la femme, à notre sombre époque, est tout simplement héroïque.

    Soyez béni pour cela !

    J'ai également passé un peu de temps sur le site "stop-pedos-trad.is" que vous m'avez fait connaître. Décidément le mal a vraiment infesté toute l’Église, nous sommes bien à la fin des temps. Je continue néanmoins de pratiquer à la FSSPX car la partie liturgique y est resté saine et les Sacrements, valides.

    Quant au(x) censeur(s) de MPI, ne leur donnons pas plus d'importance qu'ils n'en ont. Priez pour lui/eux si vous en avez la force, ce n'est pas mon cas, que Dieu m'en pardonne.

    Fraternellement en Jésus Christ, par Marie.


    Sylvain

    PS: Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, nous ne boxons pas du tout dans la même catégorie, niveau éducation, culture etc..., ce simple message m'a demandé un certain effort afin de respecter un minimum la langue de Molière (Je n'ai même pas le bac, je me suis converti tardivement, miraculeusement par la seule Grâce de Dieu...).

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    1. Merci beaucoup, cher Ami Sylvain pour votre message ! J'espère que nous pourrons nous soutenir, en union de prières particulièrement.

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