Qu’est-ce donc que la
contre-Révolution ? Combien en ont déjà entendu
parler ? Quels sont ceux qui, de nos jours, peuvent définir,
situer, détailler le courant contre-Révolutionnaire, énoncer ses
grands principes et ses origines profondes ? Qui, en un mot,
saurait se le représenter assez clairement pour en avoir une
compréhension authentique et précise ?
Il est naturellement difficile, au
milieu de la multitude des pensées pourtant classifiées en divers
et nombreux courants, de s’y retrouver. La clef, c’est de pouvoir
déchiffrer les rapports que ceux-ci entretiennent les uns aux
autres, afin d’en établir la carte adéquate. Sous cet aspect,
l’idée de la Révolution constitue le point névralgique par
excellence. La simplification s’ensuit lorsqu’on applique son
examen sur les rapports profonds et essentiels de ces courants. Ainsi
l’on peut apparenter libéralisme et socialisme, prétendument
ennemis jurés, comme s’abreuvant à la même source, c’est-à-dire
le dogme révolutionnaire.
Dans le but de mener à bien
l’esquisse que nous voulons donner de la pensée
contre-Révolutionnaire, il nous faudra d’abord montrer ce qu’est
foncièrement la Révolution, puis expliciter les principes dont elle
se fait l’adversaire.
Ceux-là qui voit en
la Révolution un unique événement historique n’y ont rien
compris. La Révolution est permanente, elle est un état d’esprit,
ce que d’autres appelleraient une idéologie. Elle fut avant 1789,
et achemina les esprits jusqu’à cette date, de même qu’elle fut
après et propagea jusqu’à affermir sur ceux-ci son hégémonie.
De ses revendicateurs comme de ses patients, elle inspire chacune des
actions politiques. Qu’ils se complaisent ou ne voient pas même
leur carcan, ils agiront, certes diversement, mais dans un même but
qui les dépasse. Serviteurs plus ou moins volontaires, mais de quoi
au juste ?
« Un appel fait
à toutes les passions par toutes les erreurs. » : telle
est la cinglante définition que Louis de Bonald donne de la
Révolution. C’est bien ce que nous allons voir.
Tout le monde s’entend
pour reconnaître que la philosophie des Lumières, si elle n’en
fait elle-même partie, est au moins un des principaux ferments de la
Révolution. Suite à la Renaissance et aux succès éclatants des
sciences, le rationalisme fut en vogue et l’on commença à
idolâtrer la raison humaine. S’il n’y eut pas que des
rationalistes parmi les Lumières, l’idée générale fut bien
d’affirmer l’indépendance de l’homme vis à vis de la
tradition et de la Religion, et tout fut jugé bon pour parvenir à
cette fin. Le rationalisme eut la commodité de ne pas se passer de
Dieu dans un premier temps, tout en refusant catégoriquement la
moindre explication non rationnelle. Inéluctablement, d’un Dieu
relégué à une place abstraite et de plus en plus inconfortable, ce
dans un système philosophique où l’homme régnait en maître,
l’on passa aisément à l’affranchissement total. Le déisme
engendra l’athéisme, parce qu’en lui-même résidait déjà ce
principe : échapper au mieux à la Révélation chrétienne.1
Avec Kant, ce fut la caution définitive pour fuir toute
métaphysique ; l’on n’expliquera désormais plus le monde
qu’à partir de l’homme. S’il faut un mot pour réunir ces
diverses philosophies en une, pour définir la philosophie de la
Révolution, le Marquis de la Tour du Pin nous le livre :
« L’individualisme, c’est la Révolution. »
Qu’est-ce que l’individualisme
sinon le pire des mensonges, l’orgueil ? Orgueil pour la
créature de fuir son Créateur, orgueil pour le serviteur de
négliger son Maître. L’insurgé, dans son aspiration de l’absolu
et au regard de laquelle il ne pouvait supporter sa propre misère,
préféra s’enclaver, s’isoler radicalement afin de ne plus être
irrité d’aucune vue extérieure. En sorte que reportant sur lui
toute son attention, il se crut absolu et tout-puissant dans cet
espace personnel. Débarrassé de sa crainte et de sa faiblesse,
contrôlant parfaitement l’ensemble de son territoire, progressant
même parcelle après parcelle. La science pouvait enfin s’émanciper
de la métaphysique : le comment ne s’embarrasserait plus du
pourquoi. D’où vient cet homme ? Où est-ce qu’il va ?
Ces questions désormais étaient pour lui dénuées du moindre sens.
Bien peu de gens
conçoivent les méfaits de la Révolution2,
d’où il vient que de cette ignorance, il méconnaissent aussi la
pensée contre-Révolutionnaire. C’est en établissant donc les
erreurs à l’origine des principes révolutionnaires, que nous
pourrons amener à la connaissance et à la justification de notre
cause !
Offensive contre la Famille
La Révolution dans son essence même
s’attaque à la Famille. La conception révolutionnaire de la
société politique suggère que l’individu en est l’élément
irréductible, ce qui par définition supplante la société
domestique, la Famille. L’individu étant la mesure de tout, il fut
facile de porter les lois politiques jusque dans la Famille ;
leur intrusion n’étant plus à craindre, puisque sous cet aspect
la Famille n’est à considérer que comme un ensemble de rapports
et intérêts entre individus membres de la société. Pour exemple,
les restrictions quant au testament, comme le partage égal imposé à
la succession et qui fit beaucoup de mal à l’agriculture3.
Cette ingérence dans la Famille amena logiquement à envisager les
enfants comme la propriété même de la République, selon le mot
fameux de Danton ! D’où la transformation de l’Instruction
nationale en ladite Éducation nationale. Ainsi la République se
propose de se substituer peu à peu à la Famille, ce dans le but de
faire des enfants avant tout de bons citoyens4,
c’est-à-dire bien sûr selon ses vues et ses idées –
révolutionnaires il s’entend. « Ce n’est pas Dieu
seulement, dira la Tour du Pin, c’est la famille qu’elle (la
Révolution) a chassée de l’école des enfants du peuple, en ne
permettant plus aux pères de famille de choisir ni la personne ni
l’enseignement du maître auquel elle les oblige à confier leurs
enfants. » La Famille ne peut qu’apparaître comme une
barrière pour une société voulant s’appliquer à chaque
individu, il suffit qu’elle ne reconnaisse pas le pouvoir
révolutionnaire pour devenir l’écueil de celui-ci.
La Révolution donc élabora le
divorce, et il est demeuré dans les esprits qu’il vaut mieux
dissoudre une union malheureuse, plutôt que de la vivre le restant
de ses jours. En conséquence, la Famille déchoit, elle devient la
résultante de l’union incertaine et passagère de deux personnes.
Si la Famille passe, quelle raison de s’appuyer sur elle ? Ne
s’arrêtant pas là, l’autorité paternelle sera bientôt évincé
au profit d’une confusion des rôles entre l’homme et la femme.
De la sorte, celui qu’on nomme encore Chef de famille perd le franc
usage de ses devoirs en faveur d’un droit individuel – ce qui
signifie hors de tout rapport social –, universel et désincarné.
Comble de la déchéance, il perdra finalement son rôle même qui
lui permet de représenter sa Famille par sa personne. Enfin, il ne
fait aucun doute que ce qu’on appellera plus tard « libération
de la femme » procède de l’héritage révolutionnaire.
Comme on doit s’y
attendre, les principes contre-Révolutionnaires font montre de
l’exact inverse. Louis de Bonald nous dit : « L’État
ne doit voir l’homme que dans la famille. » Ce qui signifie
que là où il voit l’homme, il aperçoit du même coup la Famille.
Pour atteindre l’homme, pour lui rendre un quelconque bien, l’État
passera donc par ce domaine, la Famille, dont le rôle est
véritablement d’abriter, d’accompagner, et de magnifier l’homme.
Le contre-Révolutionnaire tient alors la Famille pour la cellule
sociale qui fait le fondement de la société. Pour lui la société
politique est organique, c’est-à-dire composée de corps sociaux,
et n’est surtout pas constituée d’individus déracinés – que
l’on conçoit isolément. Par conséquent, son but immédiat est le
service des multiples Familles qui vivent en son sein, et le bien de
tous les hommes se pose en corollaire. La charge du Chef de famille
fait qu’en s’élançant dans le monde, celui-ci ne représente
non pas son unique personne, mais sa Famille entière. D’ailleurs,
cet oxymore que figure une société individualiste ne peut prendre
pied dans la réalité. L’état qu’a produit la Révolution, tout
en ayant l’apparence de celui de société, ne réalise rien de
telle. Ainsi, l’on saisit qu’en s’attaquant à la Famille, l’on
agresse la société entière.
Quant au divorce, quoi
de mieux que de laisser notre place à l’admirable éloquence de
Bonald : « Serments de rester toujours unis, sacrés
engagements que l’amour et l’innocence croient éternels, vous
n’êtes point une illusion ! La nature vous inspire à tous
les cœurs épris l’un de l’autre ; mais, plus forte que la
nature, et d’accord avec elle contre nos passions, une loi sainte
et sublime vous avait ratifiés ; et, arrêtant pour toujours le
cœur de l’homme à ces sentiments si purs, hélas ! et si
fugitifs, elle avait donné à notre faiblesse le divin caractère de
son immutabilité. Et voilà le législateur du divorce qui a espéré
dans notre inconstance, et abusé du secret de nos penchants. Sa
triste et cruelle prévoyance est venue avertir le cœur de ses
dégoûts, et les passions de leur empire. Comme ces esclaves qui se
mêlaient au triomphe des conquérants, pour les faire souvenir
qu’ils étaient hommes, il vient, mais dans des vues bien
différentes, crier à la vertu, aux jours de ses joies les plus
saintes, qu’elle est faible et changeante, non pour la fortifier,
mais pour la corrompre ; non pour lui promettre son appui, mais
pour lui offrir ses criminelles complaisances. »
À ne considérer rien
qu’humainement, il tient d’une évidence que le divorce
n’apparaît point comme la solution aux malheurs et difficultés du
Mariage. Ces maux ne viennent bien souvent que de ce qu’on ne s’est
pas sérieusement engagé, et que l’on méconnaît cruellement son
propre état. Mais pousser l’homme dans ses plus sombres
appétences, de le jeter au plus bas de sa faiblesse, à qui
viendrait une si criminelle pensée ? Bonald aboutit en
répondant à ceux qui restent dupes de leurs illusions :
« Faut-il dissoudre la famille, pour ménager de nouveaux
plaisirs à ses passions (celles de l’individu), ou de nouvelles
chances à son inconstance, et corrompre tout un peuple, parce que
quelques-uns sont corrompus ? »
En un mot, la Famille
comme unique garante de l’homme et de son lignage, est la juste
unité sociale. C’est elle qui le forme, le poli, et le prépare au
monde extérieure. En cela elle mérite toute protection et tout
dévouement de la part de la société politique.
Assaut contre la Patrie
Qu’est-ce au juste que la Patrie ?
L’homme avisé parlera de la terre de nos Pères, non pas que du
seul territoire, mais de tout ce qui fut aussi d’eux édifié en
participation à la société : et quel incommensurable
héritage !
Il n’y eut peut-être pas
d’événement où l’on déclama autant sur la Patrie que la
Révolution. Cependant, la façon dont on a méconnu le sens et la
portée de ce mot ne fut pas moins extraordinaire. Les
révolutionnaires ont fait perdurer la Patrie dans leurs paroles et
leurs discours, pour mieux l’anéantir dans les faits ! Car la
puissance même de l’œuvre révolutionnaire, c’est la table rase
du passé. Il ne fut pas un instant où l’on eut l’intention de
réformer l’ancien régime – garder ce qui a fait ses preuves,
corriger les erreurs – non, on était plutôt déterminé à
l’abolir tout de bon. Or pour comprendre cette aberrante volonté,
il faut remonter aux principes qui l’inspirent.
Le premier, c’est que le
rationalisme érige l’idéologie au-dessus de l’expérience
historique. Dans cette conception, il suffit de forger la bonne
construction intellectuelle, puis de l’appliquer infailliblement à
la réalité. Pour exemple, la triple séparation des pouvoirs :
pensée au départ abstraitement, elle deviendra par la suite une
règle indispensable et irrécusable chez l’esprit vulgaire.
Le second, dont le chantre le plus
illustre fut le théoricien du contrat social, pose que l’homme est
naturellement bon, et que son état de nature ne correspond pas à
celui d’état social. En conséquence, la société est faite pour
la préservation des intérêts individuels et ne saurait aller à
l’encontre de ceux-ci. Ainsi sombre-t-elle vers la loi du plus
fort ; et l’anarchie faisant suite, côtoie ou l’oligarchie
– une poignée d’individu dominant le plus souvent par l’argent
et imposant leurs propres intérêts –, ou ce qu’on appelle
totalitarisme – l’État, en l’absence de corps intermédiaires,
écrase et rabaisse au même niveau tous les individus. De surcroît,
si l’homme devient mauvais c’est parce que la société le
corrompt, qu’elle le pousse au vice. D’où la déclaration
universelle des droits de l’homme : Primauté de l’individu
sur l’ensemble des sociétés humaines. De là naquit une nouvelle
sorte d’idéaux, les faux dogmes de 1789 disait Le
Play, dont la liberté et l’égalité conçues tout en abstractions
prirent la plus large place. La démocratie, c’est-à-dire le
principe de la souveraineté populaire, composa naturellement le
gouvernement le plus convenable à cette philosophie.
La contre-Révolution
s’attache fermement à son passé et à l’héritage qui lui a été
fait. « Les opinions, les théories, les systèmes, nous
explique Antoine de Rivarol, passent tour à tour sur la meule du
temps, qui leur donne d’abord du tranchant et de l’éclat, et qui
finit par les user. » Or l’on reconnaît les principes
impérissables à ce qu’ils persistent dans l’épreuve du temps.
Leur usage répété, bien loin de les user, ne sert qu’à mieux
les établir. La politique en effet, se doit d’être historique
pour ne pas devenir utopique. Le Marquis de la Tour du Pin à son
tour nous le confirme : « La société s’était formée
et développée successivement à travers les siècles, et sa
constitution, suivant une expression connue, avait crû suivant des
coutumes à peine codifiées, mais inscrites ès cœurs de tous
les français. » La Révolution, qui prétendait fournir
enfin au pays sa constitution, n’a en réalité travaillé qu’a
détruire cette dernière. Et la Tour du Pin de continuer :
« Ainsi ce n’est pas avant 1789, comme on l’a dit alors,
que la France n’avait pas de constitution ; c’est depuis
qu’elle n’a plus d’éléments constituants organisés
politiquement. Il faut donc rasseoir la représentation à la fois
sur le domicile et sur la profession, en un mot, faire le contraire
de ce qu’a fait la Révolution. La Révolution a systématiquement
divisé, séparé, dissocié les éléments de la cité. Rapprochons,
réunissons, reconstituons-les amoureusement, et nous aurons rendu sa
vigueur à la nation. L’œuvre est assez belle pour qu’on s’y
attache lorsqu’on l’a aperçue. »
Cette notion de
constitution écrite, inventée, résidant non dans la forme que
prend le pays charnel, mais dans les esprits de quelques théoriciens
fanatiques qui pensent imposer à la réalité leur vision des
choses, voici comment Joseph de Maistre l’expose : « Une
constitution qui est faite pour toutes les nations n’est faite pour
aucune. » Pour le contre-Révolutionnaire, il existe des lois
sociales que l’homme doit découvrir. Celles-ci à l'instar des
lois physiques trouvent leur élaboration dans la nature, et il est
vain à l’homme d’en revendiquer et la création et l’emprise.
La philosophie de
l’ordre n’avance pas que l’homme, compris hors la société,
soit bon. Au contraire, elle assure que la société formant l’homme,
c’est elle qui le rend bon, le perfectionne, le civilise. Ainsi, et
c’est à Bonald que nous avons encore recours : « Il
faut faire la société bonne, si l’on veut que l’homme soit
bon ; il faut qu’à son entrée dans la société il y trouve,
établi par les lois, pratiqué dans les mœurs, enseigné par les
écrits, rappelé par les arts, autorisé, accrédité par tous les
moyens dont la société dispose, tout ce qui peut aider un naturel
heureux ou fortifier une âme faible, et continuer une bonne
éducation ou réformer une éducation vicieuse. » L’homme,
qui doit tout à la société ne lui apporte que bien peu, malgré
son génie. Et même ce qu’il lui cède dépend de ce qu’elle lui
donne. C’est pourquoi l’homme n’a que des devoirs en rapport à
la société, mais ce qui est devoir pour lui est droit pour les
autres. Bonald termine sa considération : « La société
est établie pour l’avantage général, et non pour le bien
particulier, puisqu’il faut au contraire que le particulier souffre
pour le bien général. Les sophistes qui ont traité de la société
n’y voient que l’individu et Pupendorff lui-même dit que les
lois sont faites pour l’avantage du chef : erreur grossière,
puisque le chef doit le premier s’immoler pour le salut de ses
membres. Toute société, dans ce sens, est une république, res
publica, la chose de tous, et non la chose de chacun (non plus
que le gouvernement de tous), et alors dit J.-J. Rousseau, « la
monarchie elle-même est une république ». Dans le siècle
dernier, les bons auteurs appelaient toute forme d’État
république ; ce n’est que dans ce siècle qu’on
a donné exclusivement cette dénomination au gouvernement populaire,
de tous les États celui où chacun est le plus occupé de soi et où
tous sont le moins occupés des autres. »
Le principe
démocratique place le pouvoir en chaque individu, ce qui fait que sa
portée ne dépasse pas celle de l’individu et ne convient
aucunement à la société. De même, la loi trouve son expression
dans la volonté générale, elle-même qui est la somme de volontés
particulières et désunis. Et l’on observe le droit subordonné à
la loi, alors que ce devrait être l’opposé.
Dans la monarchie
organique soutenue par la pensée contre-Révolutionnaire, le pouvoir
est social, son domaine concerne les institutions auxquelles il
s’applique. Ainsi il convient à la société et aux hommes vivant
dans cette société. En outre, la loi sociale n’est pas la loi du
nombre, celle-ci n’est pas sujette à la démagogie et à la
dictature de l’opinion. Elle tient en revanche des bonnes mœurs et
coutumes, qui ont l’assurance des peuples et l’empire des
siècles. Il est remarquable en cela qu’une institution comme les
corporations – qui produisait jusqu’à lors des effets excellents
parmi les hommes et la société – fut abolie à la Révolution par
la loi Isaac Le Chapelier : interdisant sous peine de mort ce
genre de rassemblement !
Finalement, ce fut au
nom du dogme abstrait de la liberté que l’on détruisit les
nombreuses et réelles libertés existantes et formées au fur des
années par la société. De même qu’au nom de l’égalité de
tous, l’on désorganisa les fonctions sociales si habilement et
harmonieusement liées entre elles : abolissant les charges et
dignités qui donnaient pour devoir le service des plus petits,
avilissant même les métiers qui autrefois faisaient la valeur de la
France et la fierté de leurs agents, les paysans et artisans.
Pour faire court, la
Patrie est une œuvre qui jamais ne s’achève : construite sur
le passé, nous en prenons la suite jusqu’à ce que nos fils nous
succèdent. Elle n’est pas un ouvrage de la pensée mais du temps.
La minutie se fait nécessité comme la précipitation doit être
bannie. Et il ne suffit pas d’un homme, il faut la coordination des
efforts de toute la société à travers les époques ! C’est
pourquoi une vue politique n’embrassant pas à la fois ce qui fut,
ce qui est, et ce qui doit être, – c’est-à-dire la tradition –
ne peut ni discerner, ni guider le caractère d’un peuple, encore
moins parvenir à la constitution du pays. Voilà en quoi la dynastie
seule assure aussi adéquatement que dignement la fonction du
gouvernement.
Attentat contre la Religion
L’épreuve ici, pour l’homme
averti un minimum, n’est pas de montrer que la Révolution
tourmenta la Religion, mais comment elle le fit. Bien sûr, ce ne fut
pas les protestants, et encore moins les juifs, qui eurent à pâtir
de la Révolution ; l’ennemi explicitement visé était
l’Église, et donc les Catholiques occupant alors la grande
majorité de la population. Il serait autrement intéressant de voir
que le protestantisme – ou religion de l’individu – et certains
juifs5
influents n’ont pas été pour rien dans le développement des
idées « nouvelles » et de la philosophie individualiste
qui préluda à leur avènement.
On pourrait nous rétorquer que les
événements tels la constitution civile du clergé, les persécutions
religieuses, l’expulsion des congrégations6
sont des excès imprévus de la Révolution. Seulement un excès
vient d’une circonstance extérieure viciant le principe d’origine.
Alors que ces conséquences ont simplement fermentées dans les
esprits sinon complètement athées du moins particulièrement
irréligieux de l’époque. Le germe en apparence si différent de
la fleur qui éclot, n’est rien de moins que celle-ci à un état
antérieur, ayant déjà en sa puissance la floraison à venir.
Religieusement, on aura du mal à
comprendre la Révolution si on omet ce principe : qu’elle
tend à s’éloigner le plus possible de la religion native de la
France, la Religion catholique. La mutation ne fut pas si radicale,
et bien que le culte de l’Être suprême institué par Robespierre
honnissait l’athéisme, la suite logique fut que l’athéisme se
propagea d’abord dans la loi, puis dans les mœurs, enfin à la
société entière, ou plutôt ce qu’il en restait – la religion
n’étant admise que dans la sphère domestique outrageusement
fracturée, et réellement permise que dans la conscience personnelle
qui n’était tout de même pas universellement abusée. Sous le
prétexte de liberté de conscience, la Révolution proclama
l’égalité des cultes ; il s’agissait inconcreto
de réduire l’influence de l’Église et d’anéantir la religion
qui fut jadis nationale.
Là où la Révolution fut une
aubaine pour les juifs, les protestants, les franc-maçons, elle fut
l’ennemie déclarée des Catholiques. Elle fut dès son début à
l’origine de l’émancipation juive, et chose remarquable, ceux-ci
ont même conservés une prière pour la République. François
Pillon, philosophe républicain de l’école néo-criticiste et
collaborateur de Charles Renouvier, protestant et franc-maçon, nous
divulgue quelques traits intéressants : « L’obstacle à
la républicanisation de l’âme française, c’est le
catholicisme. Il n’est pas possible que la France conserve la
République si elle n’a pas la force de rompre avec le
catholicisme, de soustraire ses femmes et ses enfants à l’influence
de cette religion. Le catholicisme, religion monarchique, religion de
sujets, ne peut être la religion des libres citoyens d’une
démocratie. Ou la France républicaine se décatholicisera, sortira
de l’ancien régime spirituel, ou le catholicisme lui rendra tôt
ou tard la monarchie. » « Comme le catholicisme est une
religion monarchique, le protestantisme mérite le nom de religion
républicaine. J’entends qu’il est en parfaite harmonie avec des
institutions fondées sur le principe démocratique et électif. »
« Oui, la réforme est la mère de la démocratie moderne,
comme l’Église papiste est la mère des royautés et des
aristocraties. » Il en ressort nettement que l’héritage
révolutionnaire, le fondement de la République, justifie d’autant
plus qu’il nécessite l’éradication du Catholicisme.
« Le mal est
religieux, la révolution est religieuse, le remède est religieux,
nous ne guérirons que religieusement », telles sont les
paroles d’Antoine Blanc de Saint-Bonnet. Que la Révolution soit
religieuse, cela ne signifie pas qu’elle soutient une religion
particulière, mais qu’à l’instar de la politique, son rôle fut
un renversement complet dans le domaine religieux, c’est-à-dire du
Catholicisme qui imprégnait la société d’alors. En vrai, la
Révolution est irréligieuse au sens de l’Église ; plus que
l’individualisme, l’irréligion
est sa source. Ironiquement, cette irréligion prit rapidement des
allures de religion, ce fut le culte de l’homme et de sa raison en
place de Dieu. Outre le culte, l’inimaginable ferveur, les clubs
pour églises, les jacobins pour ministres, la constituante pour
concile, les philosophes du siècle pour saints, les droits de
l’Homme pour Décalogue : tout participa à ériger
l’irréligion en système avec pour but ultime de fabriquer l’homme
nouveau. L’homme éclairé, enfin affranchi de la Religion. Mais ce
qui fit de cette œuvre révolutionnaire plus un délire qu’une
religion, ce fut le désordre absolu, l’anarchie totale, les
destructions innombrables et les bains de sang qu’elle appela.
L’erreur funeste de
la Révolution, dira le contre-Révolutionnaire, c’est d’avoir
méconnu le besoin spirituel d’un peuple et voulu tout l’inverse,
traitant en superstition ce qu’il avait de plus cher et qu’il
voyait comme le fondement de son histoire, de sa cohésion. En effet,
sans Religion, sans baptême de Clovis et d’elle-même, la France
n’eut jamais connu les événements historiques qui firent sa
grandeur. Certes, nul pays ne se forme sans un peuple, une terre, et
une langue. De même, il ne naît pas de civilisation sans une
religion. La religion est à la fois le ciment et le levain des
peuples. Si les fausses religions peuvent avoir des effets haïssables
sur les personnes, leur principe les sauvent pour ce qui est de la
société, en cela elles valent mieux que l’athéisme. De plus, la
morale qui n’a pour guide la Religion, tout comme la loi sans
justice, se flétrit et dégénère inéluctablement.
La Révolution en
attentant à la Religion, s’en prend immanquablement à la
civilisation entière. De son fait, les peuples ont été réduits à
la plus abjecte barbarie : les révoltes, guerres civiles,
guerres révolutionnaires puis napoléoniennes, et finalement
mondiales, toutes portent en héritage la Révolution. Fatalement,
une fois la Religion ruinée, on a beau avoir la fraternité pour
devise, il ne sert de rien si l’on a oublié le grand précepte qui
incite à aimer son prochain, son frère comme soi-même. Et sans
notre divin Père constamment à l’esprit, il est difficile, sinon
impossible, de se souvenir de ses frères. Voilà comment de division
en division, l’ordre construit méticuleusement sur le passé est
vaincu d’une étincelle par le chaos moderne.
L’histoire ne nous
cache pas que l’irréligion partage si facilement le trône à
l’individualisme. Or chacun sait que la noblesse de l’homme
réside en la cause dont il se fait le serviteur. Et c’est la
défense d’une cause qui ne lui appartient pas, mais qui devient
sienne, qui à juste titre est valeureuse. Rien de plus vil au
contraire, pour celui qui ne pense qu’à lui-même, le néant
d’abnégation qui le compose. Tout homme ressent le désir de
servir, le désir du sacrifice de sa personne au nom d’un intérêt
supérieur, ainsi accepte-t-on la transcendance. Malheureusement,
tous n’ont pas cette clairvoyance, et quelque bien de la terre sont
pour certains un frein, vanités dont ils s’aveuglent et qui les
retiennent en eux-mêmes. En revanche, celui pour qui aucune excuse
n’autorise la suffisance, juge avec mépris tout ce qui ne le porte
pas au-delà de sa personne. Il sait qu’en mettant son dévouement
au service de Dieu, l’humanité en est la bénéficiaire, et
lui-même voit son accomplissement en cet acte éminent.
Les uns ne peuvent
vivre pour eux-mêmes, tandis que les autres ne souffriraient pas le
moindre temps pour autrui. Or tous les hommes ayant la capacité
d’aimer Dieu, cette différence vient que le démon d’orgueil
occupe les seconds, détournant l’amour qu’ils éprouvent
naturellement et le retournant sur leur misérable personne :
voici précisément l’horreur de l’irréligion.
« La révolution a commencé
par la déclaration des droits de l’homme, et Bonald de prédire :
elle ne finira que par la déclaration des droits de Dieu. » En
effet, proclamer les droits de Dieu, voilà bien le but qu’il faut
se donner. Car il n’y a vraiment que les droits de Dieu qui puisse
garantir le bien être des hommes, en même temps que la justice et
la paix. Sans reconnaître de Maître, sans une autorité
véritablement supérieure, les hommes sont des enfants égoïstes
qui se chamaillent entre eux, ne soupçonnant pas la portée de leurs
actes. Mais pour autant qu’ils se rappellent la loi du Père, alors
de la crainte et de l’amour pénétrés, ils sauront se maintenir
dans la sagesse.
En résumé, si
l’on peut dire de la Religion qu’elle doit être
contre-Révolutionnaire, c’est parce que la Révolution s’est
foncièrement établie comme une contre-Religion, et qu’elle
demeure invétérée en ce principe !
♣
De tout ceci il reste que – selon
la considération de Joseph de Maistre –, l’on peut dire sans
exagération de la Révolution qu’elle est satanique. Attaquant le
Père, plus belle image de Dieu sur terre, pour abattre la Famille !
Assassinant le Roy, Lieutenant7
du Christ, afin de subvertir la Patrie ! S’acharnant au
possible sur l’Église, la bien-aimée de Dieu, dans le dessein de
détruire la vraie Religion ! Impossible de ne pas s’apercevoir
qu’une volonté tout à fait démoniaque tente de mettre entre
l’homme et Dieu un gouffre infranchissable.
Au fil de cet
esquisse, il est apparut que ce n’est pas la contre-Révolution qui
est contre la Révolution mais précisément l’inverse. Cela
signifie que les principes contre-Révolutionnaires ne naquirent
nullement en opposition à la Révolution ; ils furent en fait
établis bien avant et solidement à travers l’histoire, si bien
qu’il serait plus juste d’appeler traditionalisme ou
réalisme politique la position philosophique de la contre-Révolution.
Pour cet article, il nous a été
nécessaire de laisser bonne part aux citations afin d’étayer nos
dires. Néanmoins, il n’est pas raisonnable de tenir la pensée
d’un auteur à quelques phrases ; nous aurions aimer citer
plus et plus longuement mais là n’était pas notre dessein, et
c’est pourquoi nous achèverons sur la recension chronologique des
principaux maîtres de la contre-Révolution : L’Abbé
Augustin Barruel, Joseph de Maistre, Antoine de Rivarol, Louis de
Bonald, Mgr Jean-Joseph Gaume, Frédéric Le Play, Juan Donoso
Cortés, Louis Veuillot, Antoine Blanc de Saint-Bonnet, le Cardinal
Pie, René de la Tour du Pin, Mgr Henri Delassus, Albert de Mun, Mgr
Ernest Jouin, Charles Maurras, Firmin Bacconnier, Jacques Bainville.
À ceux-ci l’on pourra ajouter
comme étant du même lignage et de la même tradition, bien qu’étant
antérieur à la Révolution : Jacques-Bénigne Bossuet, Saint
Thomas d’Aquin, et même Aristote, – pour ne mentionner que les
plus connus.
Pour
la Vérité !
Lars
Sempiter.
2. La
plupart s’imagine que la Révolution est venu à cause de ce que
le peuple souffrait et de ce qu’il était oppressait : c’est
se tromper terriblement. Le témoignage de Bonald, contemporain de
l’événement révolutionnaire, nous éclaire et nous déleurre
pour autant qu’on l’ait lu.
3. Les
paysans, en étant obligés de partager également leurs biens et
leurs terres à leurs enfants, n’eurent bientôt plus assez de
surface pour cultiver dignement.
4. La
place que prit ce terme de « citoyen » au cours de la
Révolution est tout à fait révélateur de l’esprit
d’individualisme qui anime la société révolutionnaire.
5. Un
juif éminent du XIXème siècle, James Darmsteter, ne craint pas de
reconnaître que : « Le juif est le docteur de
l’incrédule. Tous les révoltés de l’esprit viennent à lui
dans l’ombre ou à ciel ouvert. Il est à l’œuvre dans
l’immense atelier de blasphèmes du grand empereur Frédéric et
des princes de Souabe ou d’Aragon. C’est lui qui forge tout cet
arsenal meurtrier de raisonnements et d’ironie qu’il léguera
aux sceptiques de la Renaissance, aux libertins du grand siècle. Le
sarcasme de Voltaire n’est que le dernier et retentissant écho
d’un mot murmuré six siècles auparavant dans l’ombre du
ghetto, et plus tôt encore, au temps de Celse et d’Origène, au
berceau même de la religion du Christ. »
6. Avant
la Révolution, de nombreuses congrégations religieuses parsemaient
la France, s’occupant de bien des œuvres mais particulièrement
de l’instruction. Contrairement à ce que l’on nous fait
accroire, même les plus simples des gens recevaient le nécessaire
d’instruction, qui bien sûr n’était pas le même pour tous, et
cela gratuitement. On comprend que la Révolution pour avoir la
mainmise sur les enfants et les futurs « citoyens »,
profita largement de cette expulsion. L’illettrisme fut terrible
pendant la période qui suivit, et il fallut attendre longtemps
avant que naissent de nouvelles institutions scolaires...
7. Le
mot lieutenant désigne la personne qui tient lieu de
chef en l’absence du chef. Si le Roy est vénéré, c’est parce
que son rôle est d’agir comme le Christ agirait pour nous :
être le bon Pasteur, le bon Chef. Malheureusement, c’est du fait
que le devoir du monarque chrétien
– le don de sa personne
à la société en vue du bien commun –
fut délaissé par eux, que tant de maux frappèrent la
Chrétienté.
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