mardi 1 septembre 2015

L'intolérance salutaire

L’homme d’aujourd’hui appartient à une époque déjà bien avancée dans l’histoire des idées. Les sciences, les philosophies, des théories tant admirables qu’extravagantes se sont développées jusqu’à nos jours, et chacun peut estimer la diversité d’idées et de concepts dont on a héritée. D’un autre coté, les pensées ne furent jamais plus malléables et serviles, remplies d’autant de préjugés honteux et assujetties dans une unique voie ; mais tout ceci ne se lie pas directement.
En effet, il serait absurde de considérer le cheminement des idées sans l’importante influence que l’homme exerce par son action politique et idéologique. Rien de plus artificiel que leur diffusion. Par le levier de la censure1, il est devenu plus difficile encore – s’il était possible – de parvenir à une histoire des idées objective, impartiale. Cependant l’objectivité en ce point est une chimère, et ce du fait qu’originellement les idées ne peuvent nous être indifférentes. Telles des images2 qui tour à tour complaisent ou répugnent à notre goût, les idées s’inscriront selon leur adéquation dans notre schème particulier, agissant ainsi perpétuellement sur sa forme.

Si les idées ne sont pas neutres, alors celles-ci doivent produire en nous réaction. Réaction qui bien sûr dépendra du rapport que nous entretenons avec elles. Notre propos ici est de disserter sur un certain rapport que nous appellerons tolérance. Quel est-il ? Tentons d’abord de définir le mot.

D’après le CNRTL, voici ce qu’on en a :
  • [À propos de personnes.] Fait de tolérer quelque chose, d’admettre avec une certaine passivité, avec condescendance parfois, ce que l’on aurait le pouvoir d’interdire, le droit d’empêcher. Synonymes : compréhension, indulgence.
  • État d'esprit de quelqu'un ouvert à autrui et admettant des manières de penser et d'agir différentes des siennes. Synonyme : libéralisme.
Les caractères en gras sont de nous, et soulignent l’importance que nous considérons de certains mots. Nous savons aussi que le mot tolérance vient du latin tolerantia signifiant « constance à supporter, endurance. » qui est naturellement d’un sens plus général que les définitions précédentes.



Le monde ne cesse de parler de tolérance, de nous en inonder, de nous y noyer ; c’est pourquoi il nous intéresse présentement de remettre les choses à leur place. Il faut savoir que l’utilisation des mots n’est jamais anodine, il s’agit trop souvent d’armes meurtrières. Le mot lénifiant de tolérance en est un parmi tant d’autres, qui alimentent et justifient une multitude de crimes, empêchant toute réflexion posée et d’exercer le moindre bon sens ; en cela ils sont terriblement passionnels. À la fois prétexte commode pour faire le mal, et, conséquemment, rempart invincible contre toute tentative de salut, de résistance. Seule une analyse froide et raisonnée nous permettra d’échapper à leur emprise malicieuse.

Dans ces deux définitions du dictionnaire, il faut d’abord remarquer la différence essentielle.
Pour la première (qui est en rapport restreint aux personnes), l’on voit immédiatement que la tolérance est afférente à un mal, c’est-à-dire que la chose que l’on tolère est un mal, non un bien. La notion de droit – le droit d’empêcher – est très claire, elle écarte par ailleurs toute subjectivité morale. Le criminel par exemple ne peut tolérer sa peine (ou son juge, pour rester dans le cadre de cette définition), il ne fait que de la subir, et quand bien même il pourrait y échapper : car il n’est pas dans son droit de l’empêcher (de contredire le jugement). De plus, la tolérance est un pâtir volontaire – mais pas forcément voulu – car elle s’accompagne du pouvoir, du choix d’interrompre ou d’interdire ce qu’elle subit injustement.
Pour la seconde (qui peut s’entendre à propos de la personne comme de ses idées ou de ses actes), ce n’est pas un mal qui est considéré mais une simple différence. La dimension morale a été anéantie. On ne préjuge en rien de cette différence, on ne dit pas si elle est bonne ou mauvaise. Or la différence étant relative au sujet, elle est donc subjective. L’on ne se dit plus d’une personne : « Quel mauvais (immoral, anormal) comportement ! » Mais : « Celui-ci a un comportement différent de moi (bizarre tout au plus). »
De nos jours, la notion de morale ou de norme est déjà suspecte… Mais lorsque triomphe l’individualisme peut-on s’en étonner ? Le monde nous dit qu’il faut accepter l’autre, accepter qu’il puisse penser différemment de nous. Mais qu’est-ce à dire ? Que les gens aient entre eux des idées différentes, cela est une évidence. Cependant, insidieusement, l’on voudrait nous faire admettre ce qui naturellement nous répugne : le faux, le mal. N’y a t-il pas de plus habile manigance que le monde ait inventé ? Estomper le bien et le mal pour n’afficher plus que différences, dénaturer notre bon sens pour faire respecter ces dernières, enfin laisser reposer quelques temps pour que l’on passe sans heurt de l’acceptation à l’imitation. N’est-ce pas là maligne recette ? diabolique devrions-nous dire ! Le grand Saint Augustin ne dit pas autre chose : « À force de tout voir l’on finit par tout supporter… À force de tout supporter l’on finit par tout tolérer… À force de tout tolérer l’on finit par tout accepter… À force de tout accepter l’on finit par tout approuver ! »
Approuver l’erreur, voilà la visée de cette intrigue.

Qu’est-ce que la tolérance en matière d’idée, si ce n’est de se taire ? : ne pas accepter pour soi l’erreur tout en l’acceptant pour les autres. Eh bien, quelle hypocrisie ! ou quelle déraison ! Un homme normalement constitué appliquerait le principe infaillible de toute morale naturelle, qui est de ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. En bref, souhaiter la vérité à tous, et ne pas la cacher ! La même vérité, est-il nécessaire de le préciser ? Ce relativisme ambiant qui s’imagine que chacun possède sa propre vérité, donc que tous – en ayant des idées opposées – sont dans le vrai, est proprement contre-nature. Et c’est bien à ça que se rattache la tolérance ; le relativisme est son essence même ! du moins en ce domaine.
Ainsi il apparaît nécessaire, salutaire même, d’être intolérant intellectuellement parlant. Ou comme l’on dit plus justement : intransigeant dans ses principes, dogmatique. Autant de qualificatifs devenus péjoratifs pour beaucoup car ils représentent une certaine résistance de la raison face à l’impulsion d’un sentiment dénaturé. Il est réellement affligeant de voir la Foi et le bon sens altérés au point que les croyants parlent d’œcuménisme, ils n’ont plus conscience que la confession de leur religion implique le refus, la négation des autres. Oui, parfaitement ! Et il est vain de s’en offusquer. La vérité elle-même est intolérante. En ce sens qu’elle ne peut que rejeter éternellement tout ce qui est extérieure à elle. Or ce que cette tolérance attaque, c’est notre fidélité à la vérité. C’est pourquoi il faut impérieusement nous en défendre.3

Néanmoins, l’on nous rétorquera qu’il y a bien cette tolérance de l’autre en tant que personne, et qui nous empêche de porter atteinte à son intégrité. Il faudrait le respecter, et ne point le traiter par le mépris. Nous devons dire que le sujet est plus délicat, et heureusement l’Église véritable, par son histoire et ses défenseurs, nous indique la position à suivre. Nous tenons par exemple des Pères de l’Église que si le péché (les mauvaises doctrines) sont à distinguer du pécheur (de l’homme qui les professe) en revanche ils demeurent inséparables – et trop souvent il faut combattre le premier à travers le second. Tel un archer qui, sans se rendre, nous menacerait de ses flèches, il faudrait l’abattre pour ne plus recevoir ses traits mortels.
Nous allons nous appliquer sur l’exemple du péché, mais il est entendu que cela vaut pour toutes idées fausses.
L’Église différencie le pécheur pénitent du pécheur endurci. Évidemment, on ne parle pas de tolérance mais de miséricorde pour le pénitent, car celui-ci renonce à son péché. L’on peut avoir de l’indulgence quant à son crime dans la mesure où il est regretté. Pour l’endurci, celui qu’on ne peut raisonner, les choses ne sont de même ; il ne peut y avoir de pardon pour celui qui en refuse la grâce. Toutefois il est ici pertinent de parler de tolérance. Seulement attention, notez-le bien, cette tolérance est circonstancielle et surtout pas universelle. C’est-à-dire qu’elle va s’appliquer selon des cas bien particuliers, rien à voir donc avec la tolérance tout azimut que l’on nous prône.
Il s’ensuit que l’intolérance en cette matière est elle aussi soumise aux circonstances, notamment à la gravité du péché, à sa propagation et ses conséquences. Elle intimera la réaction, la répression à élaborer selon ces faits. En outre, il est très préférable que ce soit des institutions et non des individus qui se chargent d’exercer l’intolérance (naturelle et par cela commune souhaitons-le) et ses suites. Mais il y a des temps ou cela n’est pas, comme nos jours malheureux – et d’ailleurs nous ne pouvons même pas dire que nous tolérons les méchants : nous les subissons sans pouvoir rien y faire.
Ainsi, il est remarquable que c’est cette atteinte à l’intégrité selon que nous l’avons reconnu, qui par là même paraît intolérable à quelques-uns plutôt nombreux. Pourtant, et cela ils ne veulent le comprendre, la peine est infligée selon le respect de l’un et de tous. Pour celui de tous, n’importe quelle société rudimentaire l’appréhenderait. Pour le respect du condamné même, la primauté du spirituel sur le corporel nous l’enseigne. Effectivement, une condamnation à mort est parfois l’unique espoir pour un pécheur de se convertir, et donc de se sauver du châtiment éternel, de la mort spirituelle – la seule mort terrible qui soit.



Finalement, des deux définitions choisis, nous avons identifié deux types d’intolérance.
La première, s’agissant des personnes, use des moyens qui lui sont disposés afin de mettre hors d’état de nuire les mauvais individus. Elle reste cependant circonstancielle, et nous n’avons pas ici explicité les cas qui sont du ressort d’une véritable justice. Il faut se rappeler que si l’Église, à la suite de Notre-Seigneur Jésus-Christ, fut toujours souverainement libérale, elle condamna en revanche sans appel le libéralisme.
La seconde intolérance, s’agissant des idées, des actes, des choses de manière générale, est implacable et défend tout naturellement nos convictions et nos principes. Elle tient sa substance d’une heureuse fidélité et s’en exprime via une intransigeance toute pure. C’est elle qui nous fait dire qu’il n’y a qu’un seul et vrai Dieu, le Dieu trinitaire de la Religion chrétienne ! Or si par malheur il ne se trouve plus quiconque pour oser, malgré les séides de ladite tolérance, proclamer cette vérité essentielle ; il faut craindre qu’il n’y ait bientôt plus personne pour la croire.

Pour conclure, et bien qu’il serait impropre de parler d’intolérance, nous pouvons dire que ce sont les thuriféraires de la tolérance qui paraissent les plus intolérants. Leur but est simple, il se résume à saper toutes nos défenses afin de pouvoir librement nous inoculer leur gangrène intellectuelle et spirituelle. Lorsque dans leur bouche vous retrouvez ce mot… non, ce cri : « sus à l’intolérance ! » Gageons qu’il s’y cache une inflexible volonté d’interdire : d’interdire notre refus de leurs aberrations, de leurs crimes, de leurs mensonges, de leurs perversions… notre refus du mal.

Pour la Vérité !
Lars Sempiter.



1. Nous entendons ce mot de censure au sens large, c’est-à-dire comme un contrôle, un examen attentif des idées. Il n’y a d’ailleurs rien de péjoratif à ce mot, puisqu’une censure pour le bien, censure de doctrines mensongères et immorales peut très bien exister, et le devrait.

2. Idée vient du Grec et signifie image ; il en est sortie idole, image des dieux.

3. Maurras disait dans son fameux Si le coup de force est possible : « L'intolérance s'impose ! Intolérants sur la doctrine et la méthode, nous ne perdrons jamais une occasion de dire, du ton le plus simple et le plus amical, mais aussi le plus ferme, aux bien intentionnés qui se trompent de route : ‘‘Mon ami, cette route ne conduit nulle part. Mon frère en royalisme ou en patriotisme, vous allez aboutir, de ce train, à l'impasse d'où il faudra revenir sur vos pas.’’ » Que l’on rétablisse l’expression, et l’on obtient : ‘‘Mon frère en religion, en Jésus-Christ notre Sauveur…’’ Seulement, là où en politique l’erreur mène à l’impasse, en religion, c’est dans l’abîme qu’elle nous précipite. Fort pénétré de ceci, l’intolérance se justifie mieux encore, ou plutôt elle s’exige plus que nulle part. Qui maintenant trouvera paradoxal que pour être véritablement charitable, il faille être intolérant ?

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